Légendaire Altmaier, maudit Sinner

L'Allemand a renversé Jannik Sinner au 2e tour après un match légendaire lors duquel il a – miraculeusement – sauvé deux balles de match.

Daniel Altmaier, 2e tour, Roland-Garros 2023©Philippe Montigny / FFT
 - Rémi Bourrieres

Au terme d'un scénario invraisemblable qui l'a vu sauver deux balles de match dans le 4e set, dont une avec l'aide de la bande du filet, Daniel Altmaier a fini par essorer Jannik Sinner pour le battre au bout du 5e set, 6/7(0), 7/6(7), 1/6, 7/6(4), 7/5 en 5h26. Un match qui fera date, mais qui pourrait aussi laisser des traces.

5h26, record du tournoi

C'est un match qui va marquer le tournoi, peut-être même plus largement l'histoire de Roland-Garros. Dans la longue liste des duels en cinq sets de la quinzaine, celui entre Jannik Sinner et Daniel Altmaier tiendra assurément une place de choix, d'une part en raison de sa longueur (5h26, record de cette édition 2023) et puis bien sûr de par son scénario, assez invraisemblable et pour tout dire assez inégalable.

Daniel Altmaier l'a gagné et il méritait bien de le gagner. Mais Jannik Sinner ne méritait pas davantage de le perdre. D'ailleurs, le jeune Italien s'est sans doute vu mille fois lever les bras : il est passé à deux points de mener deux sets à rien, il a mené deux sets à un et surtout, il a obtenu deux balles de match alors qu'il servait pour la victoire, à 5-4 dans le 4e set.

Sur la première, Sinner a tout bien fait à l'échange et n'avait "plus qu'à" conclure, sur un smash "penalty" ou "coup franc", c'est selon. Mais il n'a pas suffisamment appuyé sa frappe. La suite, c'est le destin qui s'en est chargé en faisant dévier par la bande du filet le passing de coup droit d'Altmaier, qui s'en est ainsi tiré miraculeusement. Sur sa deuxième opportunité, Sinner a commis la faute en revers. Sa chance était passée. Le reste allait basculer dans la folie, sinon dans la légende.

Remis en selle, l'Allemand de 24 ans, huitième de finaliste à Roland-Garros en 2020 après avoir franchi les qualifications puis battu (notamment) Matteo Berrettini, égalisa à deux sets partout en arrachant le troisième tie-break de la partie. De quoi ainsi gagner le droit de disputer un 5e set, qui allait à son tour nous réserver son lot d'émotions.

Plus frais physiquement et surtout reboosté mentalement, le 79e joueur mondial a breaké à 3-3 pour servir une première fois pour le match à 5-4. En vain. Mais un nouveau break lui a offert une deuxième chance à 6-5. Et c'est là que le match a totalement basculé dans l'irrationnel…

Dans cet irrespirable dernier jeu, Altmaier a laissé filer à son tour quatre balles de match, dont trois d'affilée à 40-0 et une (la quatrième) sur laquelle Sinner a décoché un extraordinaire passing de coup droit sur un smash insuffisamment puissant de son rival. Un joli coup de pied aux fesses du destin, la bande du filet en moins.

L'Italien a ensuite obtenu trois balles de 6-6. Et qu'a-t-il fait sur l'une d'entre elles ? Il a "oublié" de conclure un échange sur un smash pas assez puissant, remettant ainsi en selle son adversaire, qui a finalement conclu sur un ace, récompense d'un étonnant sang froid qu'il a su garder d'un bout à l'autre de la tempête.

Généralement exemplaire en la matière, Sinner, lui, a perdu le sien. Fait rarissime, on l'a même vu, dans cet ubuesque dernier jeu, jeter sa raquette au sol. Comment ne pas le comprendre ? Et comment ne pas penser à ce marathon de 5h15 qu'il avait déjà perdu l'an dernier à l'US Open contre Carlos Alcaraz, après avoir mené deux sets à un, 5-4, balle de match sur son service dans le 4e set ? C'était d'ailleurs quelques jours après avoir battu Daniel Altmaier en cinq sets au 1er tour. Comme quoi, les signes…

Sans atteindre les mêmes sommets en termes de niveau pur, ce duel-là fera date, malgré tout. Il restera longtemps dans la tête de Jannik Sinner, qui pour la première fois en quatre participations, n'atteindra pas la deuxième semaine à Roland-Garros. Il pèsera sans doute aussi dans les jambes de Daniel Altmaier, qui jouera son 3e tour face à Grigor Dimitrov, vainqueur beaucoup plus facilement d'Emil Ruusuvuori.

Mais lorsque Marion Bartoli vint à sa rencontre, sur le court Suzanne-Lenglen, pour recueillir ses premières impressions, tout cela était encore sans doute bien loin dans son esprit. Sa réaction, finalement, en dit bien plus que ses mots : il a fondu en larmes, ivre de joie et d'émotion…