Nadal 2005 vs Nadal 2019 : le match !

Comment le roi Rafa a-t-il évolué en 14 ans à Roland-Garros ?

 - Rémi Bourrieres

Si le Rafael Nadal de 2005, année de sa première victoire à Roland-Garros, devait affronter celui de 2019, qualifié pour les huitièmes de finale suite à sa victoire contre David Goffin ce vendredi, qui gagnerait ?

Entre Rafael Nadal et Roland-Garros, c'est une histoire qui, depuis 14 ans, finit souvent pareil… Mais qui, pourtant, s'écrit toujours d'une manière différente. On dit parfois qu'il abhorre le changement. Mais Nadal n'hésite pas, si besoin, à orchestrer de profondes modifications dans son jeu.

"Il est probablement le top joueur qui a le plus fait évoluer son tennis. Même dans ses grandes années, il s'est toujours remis en question", admire Arnaud Clément, qui avait découvert Rafa à ses débuts, lors d'une rencontre de Coupe Davis sèchement perdue à Alicante en 2004.

Amusez-vous à regarder la vidéo ci-dessus de l'Espagnol lors de ses premier pas dans le tournoi parisien, et comparez avec le Nadal d'aujourd'hui. En exagérant à peine, ce n'est plus le même joueur. Nous sommes amusés à décrypter, coup par coup, les évolutions les plus notables. Au final, entre le Nadal 2005 et le Nadal 2019, qui s'imposerait ?

Le service

C'est clairement le coup sur lequel il a le plus évolué, peut-être aussi le plus progressé. "Quand je l'ai affronté en 2003 au Challenger d'Aix-en-Provence, son service n'était qu'une simple mise en jeu, se rappelle l'ancien joueur français devenu consultant, Julien Varlet. Il a gagné 20-30 km/h en première balle."

Et ce au prix de modifications techniques constantes. La dernière en date, profonde, a eu lieu à la fin de la saison dernière, sous l'impulsion de ses coaches Carlos Moya et Francis Roig.

"Cela faisait un moment qu'on voulait le faire mais on n'avait jamais eu le temps, dévoile le vainqueur de l'édition 1998. Après l'US Open, Rafa m'a dit : 'OK, on y va.' L'idée était qu'il plie moins sur ses genoux, pour soulager ses articulations, et d'avoir un lancer plus à l'intérieur du court, pour qu'il s'engage davantage sur sa deuxième frappe. Tactiquement enfin, il varie davantage, il va moins systématiquement sur le revers adverse."

Il y avait également un travail sur la montée des bras. Mais, comme il l'a confirmé dans un récent entretien à L'Équipe, Rafa, durant le tournoi de Barcelone, a préféré reprendre son ancien mouvement. Au moins pour la suite de la saison sur terre battue.

Le coup droit

C'est le coup de base de Rafa, son pilier, son baromètre, celui sur lequel il a construit ses plus grands succès mais qui est aussi le plus prompt à le "lâcher" (tout est relatif…) dans ses périodes de doute. C'est également le coup qui est resté le plus stable tout au long de sa carrière.

Ce qui ne veut pas dire que Rafa ne l'a jamais mis sur le grill, comme le relève Julien Varlet : "Il a globalement simplifié son geste. Au début, il avait une grande boucle de préparation. Elle est moins accentuée aujourd'hui". On se souvient notamment de l'année 2009 - celle de sa défaite contre Söderling -, où Rafa avait totalement supprimé cette boucle. Il est ensuite revenu à un entre-deux.

Le revers

L'autre coup sur lequel il a énormément progressé. Mais à l'inverse du service, Rafa n'y a pourtant pas vraiment apporté de modifications techniques.

"C'est plus mental, sourit son entraîneur Carlos Moya. On l'a poussé à jouer son revers avec plus d'intention et d'engagement. Il est désormais capable de varier le rythme, les zones et les trajectoires. Le revers court croisé, notamment, est devenu un coup important dans sa panoplie."

L'Espagnol Albert Costa, qui s'était incliné face au phénomène (alors âgé de 16 ans) à Monte-Carlo en 2003, estime qu'"à l'époque, son revers était très régulier mais il se contentait de mettre la balle. Aujourd'hui, il le joue beaucoup plus vite, plus fort et avec moins de "spin"".

Julien Varlet, lui, admire les progrès de l'Espagnol dans son revers slicé, ainsi que sa capacité acquise à "poser l'appui sur son revers de défense pour en faire un coup de contre-attaque. Beaucoup de joueurs au revers à deux mains se sont inspirés de ça, Murray notamment".

La volée

Tout le monde s'accorde à dire que l'Espagnol excelle à la volée. Certes aussi parce qu'il y vient la plupart du temps dans d'excellentes conditions. Mais il pose toujours la volée là où il faut, comme il faut.

Au début de sa carrière, ce n'était pas vraiment ça. Quand Nadal venait au filet, c'était surtout pour serrer la main de son adversaire.

"Sa technique était étrange, il tenait sa raquette en haut du manche", se souvient Julien Varlet. "Il a depuis épuré sa technique. Tout cela est à mettre en corrélation avec ses progrès dans le toucher de balle d'une manière générale."

La tactique

Elle a évolué au fil de ses progrès techniques et de sa volonté de moins de se reposer sur son physique, afin de rallonger sa carrière.

"Rafa joue désormais dans l'action, alors qu'avant, il était dans la réaction. On a énormément travaillé à le rendre plus agressif, confirme Carlos Moya. Le but est d'écourter au maximum l'échange. Il ne 'cuisine' pas l'adversaire comme avant.

Aujourd'hui, s'il peut finir un point en deux coups de raquette, il le fait. Ça ne veut pas dire qu'il frappe plus fort qu'avant mais il joue plus en avançant. Le principe de ce travail a été de coller davantage à sa ligne de fond."

Arnaud Clément confirme : "J'ai toujours trouvé que Nadal était hyper fort tactiquement. Mais ça se voyait moins avant, notamment sur terre battue, où il était en mode rouleau compresseur. Aujourd'hui, il est obligé de chercher plus de solutions et cela met en valeur toute sa panoplie."

Roland-Garros 2019 - Rafael Nadal - Carlos Moya©Corinne Dubreuil / FFT

Le physique

Sur ce point en revanche, Rafa est moins fort qu'avant, c'est une évidence. "Lors de ce match à Monte-Carlo en 2003, Rafa courait et sautait partout, c'était incroyable, jamais vu un truc pareil", s'amuse Albert Costa.

Depuis, avec le poids des ans et des blessures, le cabri bondissant s'est assagi. "Rafa est moins puissant qu'avant, il a perdu en vitesse et en explosivité, reconnaît Carlos Moya. C'est d'ailleurs pour cela qu'on a fait évoluer son jeu."

Aujourd'hui encore, pourtant, rares sont les joueurs dotés d'une meilleure couverture de terrain que le Majorquin. Surtout sur terre battue.

Le mental

Nadal a traversé des moments difficiles, notamment cette année, où il a confessé avoir subi le contrecoup mental d'une accumulation de blessures.

Mais son amour pour son métier est toujours resté le même, comme l'intéressé le confessait dans L'Équipe. "Mes jambes, mon insouciance, ma fraîcheur de jeunesse, tout ça, je l'ai perdu petit à petit. Mais l'essence basique de mon rapport à ce sport n'a pas changé (…) L'intensité mentale reste la même." C'est la condition sine qua non, de toute façon, pour rester au sommet.

Conclusion

Tous les experts s'accordent à dire que Rafael Nadal est un bien meilleur joueur de tennis qu'en 2005, plus complet, plus agressif. S'il ne faut pas sous-estimer la tornade surmotivée qu'il était à ses débuts, le Nadal d'aujourd'hui, plus expérimenté, doté d'une "meilleure connaissance du jeu" (Carlos Moya) finirait sans doute par l'emporter.