Il était une fois... - Après 5h41, Mathieu renversa la montagne

Épisode 1 : Paul-Henri Mathieu s’offre John Isner au deuxième tour du tournoi 2012 après 5h41 de jeu.

Paul-Henri Mathieu, John Isner, Roland-Garros 2012©Christophe Saidi
 - Christophe Thoreau

Duels au couteau, retournements de situation, personnalités atypiques, épisodes méconnus : au cours de cette édition 2022, nous vous proposons de revisiter quelques moments mythiques de l’histoire du tournoi.

Épisode 1 : Paul-Henri Mathieu s’offre John Isner au deuxième tour du tournoi 2012 après 5h41 de jeu. Le match symbole de l’incroyable résurrection du joueur français.

L’histoire du sport a été marquée par nombre de résurrections. Mais il en est de plus belles que d’autres. S’il fallait établir un classement de ces retours de nulle part, de ces champions sortis de leur retraite ou de ceux revenus après une blessure ou un coup de blues, nul doute que l’aventure vécue par Paul-Henri Mathieu trouverait sa place au sommet.

Sa plus belle victoire

Qu’il s’aligne en 2012 pour son dixième Roland-Garros est peut-être, d’une certaine manière, l’un des exploits les plus invraisemblables de l’histoire du tournoi. Opéré du genou gauche en mars 2011, éloigné des terrains pendant plus d’un an et demi, Paul-Henri Mathieu semble perdu pour le tennis. Quand on dit "opéré", c’est un euphémisme. Souffrant d'arthrose au genou gauche, il s’est fait fracturer le tibia et le péroné afin… de se faire redresser la jambe. Cent fois, l’ex-numéro 12 mondial, deux fois huitième de finaliste Porte d’Auteuil, s’entend ainsi dire qu’il ne rejouera plus au tennis, de façon professionnelle s’entend. Sa rééducation puis sa réathlétisation sont des tortures, dont il réussit à sortir vainqueur. À l’époque, Mathieu, 29 ans, a déjà derrière lui plus d’une décennie sur le circuit, riche notamment de quatre titres ATP. Mais cette victoire sur ce mal qui le rongeait est d’une toute autre nature. Elle n’apparaîtra jamais dans les statistiques du champion. Mais c’est la plus belle.

Roland-Garros comme moteur

La volonté dont fait preuve le Strasbourgeois lui permet de retrouver les courts en janvier 2012 dans un tournoi Challenger en Allemagne. Un moment bouleversant, immortalisé par un documentaire Intérieur Sport, où il faut un cœur de marbre pour ne pas verser une larme. Un film où on le voit notamment taper des coups droits avec sa jambe meurtrie posée sur un banc. Une image qui en rappelle une autre, célèbre : celle de Thomas Muster, en 1989, ainsi à l’entraînement après son accident de la circulation à Miami, où il avait eu le genou brisé.

Cinq mois plus tard et quelques neuf tournois disputés, voilà PHM à Roland-Garros, sa maison. "Ce tournoi est le moteur de ma vie. À peine éliminé, je pensais au suivant", aime-t-il à répéter. Avec son dossard n°261, PHM a bénéficié d’une invitation et s’offre un premier tour de force. Pour son entrée en lice, il écarte l’Allemand Björn Phau, 85e mondial, après avoir été mené deux manches à rien. Ce Roland-Garros de la renaissance est déjà une réussite. Personne, à commencer par lui-même, ne peut imaginer la suite alors que l’ancien vainqueur du Grand Prix de Lyon se présente face à John Isner, 11e mondial et récent finaliste à Indian Wells.

Paul-Henri Mathieu, Roland-Garros 2012©Christophe Saidi

Sur le court Philippe-Chatrier, les deux hommes vont s’expliquer au cours d’une vraie bataille de rue de 76 jeux (record à Roland-Garros depuis l’instauration du tie-break) et d’une durée de 5h41. C’est loin des 11h05 qui ont été nécessaires au même John Isner pour battre Nicolas Mahut à Wimbledon deux ans plus tôt, mais ce deuxième tour demeure le plus long match joué d’une traite à Roland-Garros.

Au-delà de la durée, c’est le scénario qui est totalement captivant. En raison, évidemment, de la présence de PHM, de ce retour improbable au plus haut niveau, mais aussi de son passé tortueux sur ces courts, où il a déjà livré nombre de batailles dantesques : ses défaites face à Andre Agassi (2002), Guillermo Cañas (2005), Rafael Nadal (2006, l’un des matchs les plus ébouriffants de l’ère "Rafa", 4h56 pour quatre sets) planent comme des fantômes alors que les deux hommes entament la cinquième manche. C’est déjà incroyable que Paulo en soit arrivé là - son niveau, après simplement cinq mois de circuit, est exceptionnel - mais chacun sait aussi que plus le match dure, plus la défaite sera difficile à vivre si elle devait advenir. Depuis qu'il est revenu à la compétition, Mathieu n’a encore jamais dépassé les 2h30 de jeu, en match ou même à l’entraînement.

Paul-Henri Mathieu, John Isner, Roland-Garros 2012©Corinne Dubreuil / FFT

À l’assaut de ce cinquième set de tous les dangers, les deux hommes sont déjà sur le court depuis 3h13. Ils y resteront 2h28 de plus ! Pour un drame en 34 jeux (18-16) finalement remporté par le Français, vainqueur 6/7, 6/4, 6/4, 3/6, 18/16 à sa septième balle de match. Merveilleux de résilience, Mathieu a décidé ce jour-là de ne pas mourir. "Je ne sais pas quoi dire, c'était un match fou, j'ai du mal à croire que j'ai gagné", lâche-t-il bouleversé au micro de la télévision.

En ce jeudi 31 mai, Paul-Henri Mathieu, ce champion qui avait tant donné sans toujours beaucoup recevoir, enfile à jamais le costume du héros. Il reviendra Porte d’Auteuil cinq nouvelles fois. Pas si mal pour un joueur condamné à la retraite.