Retour, tour après tour, sur la victoire de Yannick Noah en 1983 à Roland-Garros. Un tournoi marqué par son humour, ses services-volées et un gros câlin à son papa.
40 ans - Yannick Noah : son sacre, match après match
40 ans jour pour jour après sa formidable épopée victorieuse à Roland-Garros, retour sur le parcours qui a mené le champion français à sa plus belle victoire.
1er tour - Bat Anders Jarryd 6/1 6/0 6/2
"J’étais un peu inquiet quand j’ai été mené 1-0 après le premier jeu." En conférence de presse d’après-match, le Français gratifie comme souvent l’assistance d’une pointe d’humour. Ou peut-être n’a-t-il jamais été aussi sérieux ? "Je préfère finir vite ces matchs pour aller m’entraîner ensuite." Sur ce court n°1 qu’il foule alors pour la première fois en match officiel, Yannick Noah ne met en effet qu’une heure et vingt minutes pour avaler le Suédois Anders Jarryd, seizième-de-finaliste en 1982, mais pas vraiment un amoureux de la terre battue au contraire de quasiment tous ses compatriotes. Au micro de TF1, le journaliste Jean Raynal ne peut s’empêcher de mettre un coup de pression supplémentaire sur les épaules du Français : "En ce moment, Yannick est en super forme et il sera peut-être le premier Français depuis Marcel Bernard à gagner les Internationaux de France." Patience : la route est encore longue.
2e tour - Bat Victor Pecci 6/4 6/3 6/3
Dès le deuxième tour, Noah croise celui qui lui avait barré la route deux ans plus tôt en quarts de finale : Victor Pecci, également finaliste en 1979, année où le Paraguayen avait fait battre le cœur de Roland-Garros avec son diamant dans l’oreille et ses coups entre les jambes. Mais de ce match annoncé comme le choc de la première semaine, Noah en fait en pétard mouillé. D’ailleurs, en 1983, la "Peccimania" s’est éteinte depuis belle lurette. Son oreille est toujours percée, mais c’est désormais Noah qui règle les acrobaties. Malgré un froid automnal, le Français déborde d’énergie : il est partout, tout le temps.
3e tour - Bat Pat Dupré 7/5 7/6 6/2
Particularité de la programmation jusqu’au milieu des années 1980 : il est possible de jouer deux matchs en deux jours. La preuve ici avec Noah, reconvoqué sur le court Central dès le lendemain de sa victoire sur Pecci. Peut-être que cet intense milieu de semaine explique ce mauvais départ du Français : il est mené 5-1 en 20 minutes par un Américain pourtant comme les autres, porté vers l’attaque et pas vraiment réputé pour être un véritable terrien. Pat Dupré a même une balle de set à 1-5, mais le Français l’écarte d’un service-volée rageur, point après lequel, comme l’écrira Denis Lalanne dans L’Équipe, "les mouches changèrent d’âne". Noah s’enfile 9 jeux de suite pour mener 7/5, 3-0. Le come-back de Dupré dans ce deuxième set ne sera qu’une anecdote. Noah passe une fois de plus sans lâcher une manche.
Huitièmes de finale - Bat John Alenxander 6/2 7/6 6/1
Tous les favoris sont encore là. Wilander, Vilas, Connors et Lendl, que Noah pourrait d’ailleurs retrouver en quarts de finale s’il passe la case John Alexander. À près de 32 ans, l’Australien est certainement usé par ce millier de matchs pros qu’il a disputés en 15 ans de carrière et surtout par ses deux matchs marathons de la semaine contre Hans Simonsson et Mel Purcell. Mais ce formidable athlète, qui excelle également au golf, au cricket et au surf, en a encore suffisamment dans le réservoir pour mener 5-2 et 30/0 dans le deuxième set. S’il perd en trois sets, c’est avec les honneurs. Quant à Noah, il sort une fois de plus d’une épineuse situation.
Quarts de finale - Bat Ivan Lendl 7/6 6/2 5/7 6/0
Et revoilà Noah face à son ennemi juré. Le match tant attendu, aux allures de finale. Un an plus tôt sur ce même court, les deux hommes avaient disputé en Coupe Davis l’un des plus beaux matchs de la saison 1982, et Noah l’avait emporté en cinq sets. Cette fois, la rencontre sera moins belle. Mais pas moins haletante : alors qu’il mène 7/6, 6/2 et 5-3, le Français manque deux balles de match et laisse Lendl revenir à deux sets à un. Il est 20 h passées, et TF1 décide de bouleverser ses programmes : une fois n’est pas coutume, le tennis passe devant le foot. Les téléspectateurs ratent la première période du France - Belgique que doivent commenter Michel Denisot et Didier Roustan. Ils gagnent au change. Au lieu de voir Battiston et Amoros faire match nul, ils voient un Noah survolté. Après le couac du troisième set, le Français joue l’une des meilleures manches de sa carrière : 6/0 ! Il est presque 21 h quand Noah exulte devant un Central qui lui offre l’une des plus belles ovations de sa carrière. Ce sera sa première demi-finale en Grand Chelem.
Demi-finales - Bat Christophe Roger-Vasselin 6/3 6/0 6/0
Disons-le clairement : il n’y a pas eu de demi-finale, et tout le monde aurait sans doute souhaité une rencontre plus disputée – même le vainqueur. "J’ai éprouvé un sentiment bizarre. Je voulais gagner, mais je ne voulais pas gâcher son plaisir", explique après coup Noah en conférence de presse. Au troisième set, à 4-0 pour Yannick, celui-ci se met même à encourager son adversaire. "Il jouait de moins en moins bien, je le regardais, il était fatigué ; Et j’ai eu un moment un peu bizarre où je lui ai dit : "Allez Chris !" en plein milieu d’un point." Condescendance ? Non, car il ne l’a pas dit fort : personne ou presque ne l’a entendu.
Finale - bat Mats Wilander - 6/2 7/5 7/6
Tout le monde se souvient, pour ceux qui étaient déjà de ce monde, ce qu’il faisait ce 5 juin 1983. Tout le monde a aussi en mémoire ces images. Cette Une de L’Équipe, "50 millions de Noah". Les tribunes remplies jusqu’au ciel, tout bleu ce jour-là. Le retour de coup droit de Mats Wilander qui sort. Yannick, qui rêvait de ça depuis "tout môme", qui s’agenouille, papa Zacharie qui saute de sa loge pour aller embrasser son fils, les pleurs, la joie, l’ivresse, la folie, la foule qui envahit le court, le service d’ordre qui est dépassé, Noah qui supplie qu’on le laisse respirer, "je veux boire, un peu d’air ! Doucement, merde !"
Mais que retient-on de ce qui s’est passé avant ces spectaculaires scènes de liesse ? Pas grand-chose, finalement. Il est vrai que le match n’est pas un chef-d’œuvre. Mais il y a ce deuxième set, dur, âpre, que Noah arrache de toutes ses forces, et surtout ce troisième set, où le Français, tout proche du but, est au bord de l’implosion. À chaque changement de côté, il enfile les boissons sucrées, croque des pastilles et se masse les mollets. La fringale, le stress.
Noah sert pour le match à 6-5, mais passe totalement à côté de son service. Il perd aussi le premier point du tie-break, sur un lob superbe de Wilander. Dans la cabine de TF1, Hervé Duthu, que son consultant Jean-Paul Loth a préféré laisser seul pour suivre le match dans les loges, est dans un état de crispation absolue. C’est à peine s’il peut annoncer le score. Pour Noah, il ne s’agit plus de bien jouer, mais de gagner ce tie-break. Dans ce but, il abrège au maximum les échanges, monte sur tout ce qui bouge. À 6 points à 2 pour Noah, Wilander place de nouveau un lob gagnant. Mais à 6-3, c’est la bonne. Il est 17 h 35 en ce 5 juin 1983, date historique dans l’histoire du tennis français. Pour la première fois, la France assiste en direct à la télévision à la victoire de l’un des siens à Roland-Garros. Le retentissement est énorme : de 1983 à 1985, on construit environ 4000 clubs en France, et le nombre de licenciés franchit la barre du million.