Militante éternelle de l'égalité hommes-femmes, Billie Jean King est mise à l'honneur en ce jeudi 2 juin consacré aux demi-finales dames, avec une cérémonie retraçant le cinquantenaire de sa victoire à Roland-Garros, suivie après les matchs d'une diffusion du film "La Bataille des Sexes", revenant sur son fameux match face à Bobby Riggs en 1973.
Billie Jean Queen
Il y a 50 ans, Billie Jean King remportait Roland-Garros. Elle sera mise à l'honneur en ce jour des demi-finales dames.
Une belle volée de coup droit amortie en extension. L'ultime tentative de passing de revers de son adversaire qui s'évanouit hors des limites du court. Et Billie Jean King qui explose de joie, poussant un hurlement sonore qui déchire le ciel de Paris auquel elle vient par ailleurs d'envoyer sa raquette en offrande. L'a-t-on jamais vue plus heureuse sur un terrain de tennis ?
Ce dimanche 4 juin 1972, l'Américaine vient de battre facilement la tenante du titre Evonne Goolagong (6/3, 6/3 en 1h07) et de rentrer ainsi définitivement au Panthéon du tennis en remportant sans perdre un set le seul titre du Grand Chelem manquant à son palmarès. Ce qui fait d'elle aujourd'hui l'une des dix joueuses de l'histoire ayant remporté les quatre tournois majeurs. À 28 ans, elle est au faîte de sa carrière. Elle réussira d'ailleurs le Petit Chelem lors de cette saison 1972, en s'imposant ensuite à Wimbledon puis à l'US Open. De quoi lui faire regretter de ne s'être pas déplacée en début d'année en Australie…
Son rayonnement en dehors des courts a parfois eu tendance à le faire oublier, mais Billie Jean King, c'est d'abord et avant tout une immense championne, l'une des plus grandes de tous les temps : elle a remporté au total 39 titres du Grand Chelem, dont 12 en simple et 20 à Wimbledon, où elle co-détient le record de sacres avec Martina Navratilova.
Mais à Roland-Garros, tout a toujours été plus compliqué pour la reine King. Question de surface… "Je suis née et j'ai grandi en Californie, où on ne nous apprend pas à glisser. Or pour bien jouer sur terre, il faut que ça devienne quelque chose de naturel", raconte la joueuse désormais âgée de 78 ans dans un entretien à retrouver dans le magazine officiel de Roland-Garros.
Mais là où certains de ses compatriotes, confrontés au même problème, ont pu parfois baisser les bras, Billie Jean, elle, n'a jamais renoncé à son rêve parisien. Parce que si elle avait du mal à la dompter, elle appréciait particulièrement la terre. "C'était loin d'être ma meilleure surface, mais elle pouvait quand même correspondre à mon jeu, avec l'utilisation de toute la géométrie du court, l'amortie, l'esthétisme, raconte-t-elle par ailleurs. C'est pour cela que j'ai toujours adoré ce tournoi. Et puis… J'aime tellement Paris."
La Légion d'Honneur pour BJK
Si elle ne coche généralement pas les tournois sur terre battue en premier dans sa programmation, Billie Jean King, demi-finaliste au mieux à Paris en 1968, finit par faire de Roland-Garros une priorité. Une obsession. Elle est piquée au vif, aussi, par les médias de son pays, qui la "titillent" sans cesse sur sa probable incapacité à gagner un jour ce fameux Majeur qui lui manque. Alors, la Californienne va établir un plan de bataille.
Le début des années 70 ne lui laisse pas forcément le temps de se focaliser entièrement sur cet objectif. À cette période, elle s'investit énormément dans la promotion et le développement du tennis féminin. Faut-il rappeler qu'elle est la leader active d'un mouvement de neuf joueuses, appelées les "Original 9", qui ont œuvré pour la création du tout premier tournoi professionnel exclusivement féminin, à Houston.
Le contrat est signé le 23 septembre 1970, pour un dollar symbolique. La somme n'est pas importante. Ce qui l'est, c'est que ce tournoi va être à l'origine du premier circuit féminin, sponsorisé par le cigarettier Virginia Slims. Puis de la WTA, fondée en 1973 avec Billie Jean King comme première présidente.
Si ses multiples activités ne lui permettent pas toujours de pouvoir se consacrer autant qu'elle le voudrait à sa propre carrière, Billie Jean King voit s'ouvrir une fenêtre de tir en 1972. Cette année-là, les étoiles semblent alignées : Margaret Court, sa grande rivale, est partie en congé maternité. Chris Evert, la future grande star et maîtresse des lieux, qui s'est révélée quelques mois plus tôt en atteignant les demi-finales de l'US Open – face à King –, est restée au lycée. Martina Navratilova n'a pas encore débuté sa légendaire carrière.
Billie Jean King fait donc plus que jamais de ce Roland-Garros un objectif. Elle part en Floride pour s'entraîner spécifiquement sur terre battue avec, justement, Chris Evert, lors d'un mini-stage de cinq jours où le thème principal est de "gagner en régularité". Elle rajoute aussi un tournoi sur terre battue à son calendrier. Quand elle débarque Porte d'Auteuil, elle est fin prête.
Cette année-là, en plus, est une édition particulière puisque la Fédération française, afin de dynamiser l'épreuve, a réduit le tableau de moitié. Exceptionnellement – l'expérience ne sera pas reconduite l'année suivante -, le simple dames passe ainsi de 64 à 32 joueuses. Bille Jean King entame donc son parcours au 3e tour. Elle ne perd que 19 jeux au total des quatre matchs qui lui sont nécessaires pour atteindre la finale.
C'est là, face à Evonne Goolagong, qu'elle démontre l'étendue de ses progrès en produisant une masterclass de tennis sur terre battue, variant le jeu parfaitement, "mixant" son formidable tennis d'attaque avec des défenses inspirées, et usant à merveille de l'amortie. Si l'on excepte un break concédé d'entrée de 2e set, elle domine ce match de la tête et des épaules. Une fois la balle de match conclue, deux sentiments l'envahissent : "du soulagement et de l'excitation". Son succès est total, d'autant qu'elle s'impose en double également cette année-là, aux côtés de sa compatriote Betty Stöve.
Cinquante ans plus tard, Billie Jean King a gagné bien d'autres batailles. Elle est montée au front avec autant de hargne qu'elle en mettait pour monter au filet, notamment pour défendre la cause des femmes et des homosexuels, ou pour lutter contre les discriminations en tout genre.
Elle a reçu tous les hommages, au point qu'aujourd'hui, le stade de l'US Open porte son nom tout comme l'anciennement nommée Fed Cup, le championnat du monde des nations par équipes féminines. Elle a reçu par ailleurs des mains de Barack Obama la médaille présidentielle de la Liberté. Et jeudi, pour célébrer le cinquantenaire de son succès ici, et pour l'ensemble de son œuvre, elle est mise à l'honneur lors d'une cérémonie organisée sur le court Philippe-Chatrier, juste avant les demi-finales dames.
Vingt minutes après les demi-finales, les écrans géants du court Suzanne-Lenglen diffuseront également le film "La bataille des sexes" retraçant l'histoire du match qui l'avait opposée à Bobby Riggs en 1973 à Houston. Cette confrontation avait été suivie à l'époque par plus de 30 000 personnes dans le stade et 90 millions de téléspectateurs.
Et demain, vendredi 3 juin, la légende américaine sera reçue au Palais de l'Élysée par Emmanuel Macron, Président de la République française, afin de recevoir la Légion d'honneur.
Mais au-delà des hommages, jamais, quoi qu'il en soit, Billie Jean King n'oubliera son formidable 4 juin 1972, tant Roland-Garros représentait à ses yeux une sorte de Graal ultime. "Il faut bien se souvenir qu'à l'époque, trois des quatre tournois majeurs se déroulaient sur gazon. Pour nous, c'était notre petit moment, unique et beau, sur terre battue. D'une certaine manière, Roland-Garros est peut-être le tournoi du Grand Chelem qui a le moins changé, dans sa capacité à se nourrir de la tradition."
Vous pouvez d'ores et déjà lui préparer la plus vibrante des ovations. Car le tennis dans son ensemble, et pas seulement féminin, ne serait sûrement pas le même sans Billie Jean King.