Focus sur... Herbert, jamais trop tard

À 28 ans, il joue son meilleur tennis.

 - Rémi Bourrieres

Pierre-Hugues Herbert est opposé ce mercredi à Benoît Paire, après avoir causé contre Daniil Medvedev l'une des sensations de ce début de Roland-Garros. Après être devenu l'un des meilleurs joueurs du monde en double, le Strasbourgeois poursuit son ascension en simple. À 28 ans. Explications.

En début d'année, après un ultime sacre à l'Open d'Australie, "P2H", son surnom, avait pris la décision forte et difficile de ne plus courir le circuit en double aux côtés de Nicolas Mahut.

Et puis, par un drôle de clin d'œil du destin, Pierre-Hugues Herbert a écrit à quatre mains avec son fidèle acolyte l'une des plus belles pages de ce Roland-Garros 2019.

Au lendemain du retour de Mahut face à Marco Cecchinato, demi-finaliste sortant, le Strasbourgeois en a fait de même face à l'un des hommes forts de ce début de saison, le Russe Daniil Medvedev (n°12).

Une première remontée de deux sets à rien dans sa carrière (4/6, 4/6, 6/3, 6/2, 7/5) qui fera d'autant plus date qu'elle marque aussi son plus beau succès en Grand Chelem.



Une surprise ? Oui, assurément. Mais un miracle, non. Ce succès arrive sur la lancée d'un début de saison sur terre battue solide, marqué notamment par des succès sur Fernando Verdasco et Kei Nishikori, suivis d'une demi-finale à Budapest.

Dans la lignée d'un Guy Forget qui avait atteint sa plénitude le quart de siècle largement révolu, Pierre-Hugues Herbert, 43e mondial, pratique à 28 ans le meilleur tennis de sa carrière. Voici pourquoi.

Il a mis du temps à se construire

Physiquement, déjà. S'il mesure aujourd'hui 1,88m, "P2H" a longtemps traîné un retard de croissance, n'atteignant sa taille adulte qu'à l'aube de sa majorité. Sur le plan musculaire, ce fut encore plus lent.

"Il est d'ailleurs encore en train de se développer", rappelle son père et entraîneur de toujours, Jean-Roch, qui fut lui-même classé négatif.  

Tennistiquement, ensuite. Très vite, Pierre-Hugues s'est orienté vers ce tennis d'attaque qu'on lui connaît, pur, cristallin mais sans marge.

"C'est un jeu à maturation forcément plus lente, détaille sa mère, Marie-Laure, également professeur de tennis. Car cela nécessite une panoplie de coups très complète, avec des schémas tactiques extrêmement pointus. Cela a pris beaucoup de temps de développer cette palette."

Développer ce tennis était un risque en soi, nécessitant patience et croyance, quand d'autres choisissent la voie express – mais souvent limitée – d'une filière plus défensive. Et encore, le chantier reste en cours. Il y a deux ans, Fabrice Santoro, co-entraîneur de Pierre-Hugues avec Benjamin Balleret, a entrepris à son tour un gros travail.

"Il était techniquement très au point, mais il manquait de stabilité et d'équilibre dans son jeu, notamment dans le bas du corps. Du coup, il était souvent mal placé. Il avait besoin de plus d'ancrage au sol. C'est passé par des milliers d'exercices au panier, lors desquels je lui demandais de se placer au millimètre. C'était un travail très fastidieux mais il l'a fait sans jamais se plaindre."

Il a mis du temps à s'affirmer

"Pierre-Hugues, c'est le gars qui, avant, s'excusait presque de gagner un match", sourit celle qui partage la vie du joueur depuis cinq ans, Julia, qui est également son attachée de presse.

"Il n'a jamais douté de ses capacités mais il a toujours eu en lui une espèce d'humilité qui l'empêchait d'en parler. Aujourd'hui, on se rend compte que les semaines où il joue bien, ce sont les semaines où il a le 'lead', où il est le patron."  

 

Sa décision de ne plus jouer le double à temps plein, pour privilégier sa carrière en simple, a été forte, difficile, mais révélatrice de sa volonté de prendre définitivement son destin en mains. Le dernier cap avant le passage à l'âge adulte, en quelque sorte.

"Pierre-Hugues a également mis un peu de temps à arriver à maturité intellectuelle et émotionnelle, souligne son père. Quand, en 2014, je lui ai dit de se débrouiller sans moi, c'était aussi pour le pousser à une forme d'émancipation. C'est bien d'être toujours avec ses parents, mais au bout d'un moment, cela peut-être sclérosant. Il avait besoin d'autres discours."

Il a mis du temps à se lâcher

Parfois, une qualité chez l'humain peut devenir un défaut chez le sportif. C'est la maman qui parle :

"Mon fils est un cérébral, il réfléchit beaucoup, il est toujours dans le contrôle. Mais du coup, il a parfois du mal à laisser parler son instinct. Contre Medvedev, il s'est lâché. Au cinquième set, il nous a dit qu'il ne savait plus où il était. Il a laissé libre cours à son cerveau reptilien. Ce n'est pas forcément naturel chez lui."



Pierre-Hugues l'a travaillé, avec différentes méthodes, comme la technique Alexander.

Pour se lâcher, il lui faut toutefois une bulle de sérénité autour de lui. Le Strasbourgeois fait partie de ces joueurs qui ne supportent ni le conflit ni les imprévus.  

Quand Fabrice Santoro lui a annoncé cette année sa décision de tenter une expérience en "parallèle" avec Milos Raonic, il l'a mal vécu et ses résultats en ont d'abord pâti. "Mais une fois que les choses ont été mises à plat, il a pu reprendre le dessus. Depuis, ça roule particulièrement bien pour lui", se réjouit Julia.

Il est encore perfectible

Le "pire" en voyant jouer Pierre-Hugues Herbert est qu'il renvoie encore cette impression de produit "non fini", en équilibre toujours instable. Un diamant dont les contours reste à polir.

Fabrice Santoro approuve : "Pour moi, Pierre-Hugues jouera son meilleur tennis vers 30 ans, pas avant. Je n'ai pas l'impression d'entraîner un joueur de 28 ans. Quand on a commencé à travailler ensemble, j'avais plutôt le sentiment d'avoir un joueur de 20 ans.

Il avait un côté naïf, qu'il a beaucoup moins aujourd'hui. Mais il a encore des progrès à faire, à droite à gauche. On est dans le détail désormais. Au départ, c'était vraiment du gros œuvre."

On laissera à la mère du joueur le soin de confirmer cette impression : "C'est vrai, Pierre-Hugues ne semble pas avoir de limites…"