Ce ne fut pas toujours le feu d'artifice attendu, du moins cela mit un moment à le devenir. Mais ce fut un énorme match de tennis, physique, tactique, dramatique, empreint de tension et de retournements de situation. Longtemps crispé par l'enjeu, lent à mettre en route son rouleau compresseur habituel et mené deux sets à un, Carlos Alcaraz a fini par trouver la faille pour s'imposer en cinq sets face à Jannik Sinner (2/6, 6/3, 3/6, 6/4, 6/3 en 4h09), se qualifiant ainsi pour sa première finale à Roland-Garros.
Alcaraz, une féroce délivrance
À l'issue d'un très gros combat physique, l'Espagnol - mené deux sets à un - est sorti vainqueur en cinq sets du duel très attendu face à Jannik Sinner. Il disputera sa première finale à Roland-Garros ce dimanche.
À 21 ans, Alcaraz - vainqueur de l'US Open 2022 et de Wimbledon en 2023 - est le plus jeune joueur à se qualifier pour trois finales du Grand Chelem sur trois surfaces différentes, battant ainsi le record d'Andre Agassi, qui avait 22 ans lorsqu'il a atteint ce cap à Wimbledon en 1992. Un nouveau record de précocité qui ne le comblera pas : ce qu'il voudra bien sûr, c'est remporter cette finale, dimanche, face à Alexander Zverev ou Casper Ruud.
Avant cela, il y avait un sacré écueil à passer avec cette demie que tout le monde attendait, la plus jeune dans une demi-finale de Grand Chelem depuis le Nadal - Murray de l'US Open 2008. Jannik Sinner, qui sera numéro un mondial lundi, et Carlos Alcaraz, qui sera son dauphin s'il l'emporte dimanche, ont écrit une nouvelle page d'or au grand livre de leur rivalité, qui semble décidément partie pour faire les beaux jours du tennis pendant de longues années.
Inconstant, illisible mais grandiose
On se souviendra longtemps de leur tout premier duel à Roland-Garros, qui fut moins titanesque que leur quart de finale de l'US Open 2022, mais qui, dans un autre style, a proposé tout ce que ce sport peut faire de beau. Bien sûr, on s'attendait à un scénario moins sinusoïdal : émaillé d'un total de douze breaks et de pratiquement autant de fautes directes (102) que de coups gagnants (104), ce match a mis longtemps à honorer toutes ses promesses, en termes de spectacle pur. Mais c'est dans cette alternance du meilleur et du pire que la beauté a fini par jaillir.
Égaré dans une forêt de doutes, Carlos Alcaraz a été grandiose par la manière dont il a réussi à retrouver son chemin. Pendant un peu plus d'un set, on crut revoir le même Alcaraz empêtré de stress que celui de l'an dernier, en demi-finales déjà, contre Novak Djokovic. En face, Sinner, lui, ne se posait aucune question existentielle et déroulait son tennis létal habituel.
Mais à 6/2, 2-0 en sa faveur, l'Italien se fit débreaker sur un très mauvais jeu et "Carlitos", qui multipliait alors les gestes d'agacement, se remit en selle. En l'espace de quelques minutes, le match changea de dynamique. Et quand Alcaraz revint à une manche partout puis breaka dès le troisième jeu du troisième set, cette fois, c'est pour le futur numéro 1 mondial que l'on commençait à sérieusement s'inquiéter.
Car Sinner affichait à ce moment-là un body language négatif : lui aussi s'agaçait vers son clan, marchait la tête basse, semblait gêné dans certains appuis en bout de course et surtout, était pris d'un début de crampes de stress, exactement comme Alcaraz l'an dernier, sauf que dans son cas, c'était au niveau du bras. Quoique le kiné, dont il demanda par deux fois l'intervention aux changements de côté durant ce troisième set, lui massa aussi les cuisses.
Mais le vainqueur de l'Open d'Australie, au moment où on le sentait prêt à plonger, réussit à son tour à surnager. Alors que le match atteignait probablement son pic d'illisibilité, il prit deux fois d'affilée le service de son adversaire, tout en sauvant le sien de justesse, à 2-2, au prix de quatre balles de break écartées. Et arracha finalement ce troisième set des mains d'un Alcaraz qui repiqua d'un coup et qui semblait à son tour proche des crampes, ce qu'il confirmera ensuite.
Le "raté" de Sinner, l'opportunisme d'Alcaraz
Mais c'est là où l'Espagnol a été grand. Fort de sa mauvaise expérience de l'an dernier, il sut, cette fois, gérer ce moment délicat, et releva la tête. Tout partit notamment d'un superbe point, un énorme passing de coup droit décoché à 3-3 dans le 4e set, qui lui arracha un grand sourire et souleva le public. Alcaraz, dès lors, redevint lui-même pour de bon. Dans les deux dernières manches, il ne perdit plus une seule fois son service.
Il eut toutefois un moment chaud à négocier lorsqu'à 4-4, 40-15 sur son service, un malaise dans les tribunes interrompit la partie pendant quelques minutes. Mais il tint le coup, et c'est son rival qui finit par craquer. À 5-4, 30-15, Sinner expédia dans le couloir un smash après rebond quasiment inratable. Facile à dire, bien sûr. Car dans un tel moment, après plus de 3h30 d'efforts, aucun coup n'est inratable. Toujours est-il qu'Alcaraz flaira la brèche et s'y engouffra grâce à deux belles accélérations de revers, pour revenir à deux sets partout.
Désormais lancé, l'Espagnol se montra dominateur au cinquième set, face à un adversaire qui accusait le coup. Breaké d'entrée dans cette ultime manche, l'Italien n'eut plus la moindre chance de salut, même s'il lutta courageusement jusqu'au bout, à l'image de ces deux balles de match sauvées dans le dernier jeu, à 5-4. Mais Alcaraz ne paniquait plus. D'un nouveau service slicé extérieur côté égalité, un coup qu'il aura beaucoup exploité, il s'offrit une troisième balle de match. Qu'il concrétisa, cette fois, d'une nouvelle accélération de revers.
"Il faut savoir trouver de la joie dans la souffrance", résuma-t-il joliment, lui qui est décidément inoxydable dans les matchs en cinq sets en Grand Chelem (dix victoires en tout), au contraire de son adversaire du jour, dont c'est peut-être la seule dernière petite faille. Désormais, Alcaraz devra récupérer au mieux. Car dimanche, il aura un nouveau rendez-vous avec l'histoire.