La semaine précédant le tableau principal est un ballet incessant de séances d'entraînement qui, en plus des matchs de "qualifs", constitue aussi un superbe spectacle pour le public. Mais où, quand et comment s'entraînent les champions ? Petit détour dans les coulisses du "practice".
Dans les coulisses de la programmation des "practices"
Découvrez ce qu'il se cache derrière les entraînements des champions avant Roland-Garros !
Jabeur, Gauff, Sabalenka … dès le premier jour des qualifications !
Lorsque le coup d'envoi de l'Opening Week de cette édition 2023 a officiellement été donné le lundi 22 mai à 10h, il y avait déjà du monde dans l'enceinte de la Porte d'Auteuil. Et du très beau monde. Le même jour, à la même heure, Ons Jabeur a ainsi eu l'honneur d'ouvrir le bal des entraînements sur le court Philippe-Chatrier, pour une bonne séance de deux heures. La Tunisienne a ensuite laissé sa place à Coco Gauff, finaliste sortante, puis un peu plus tard dans la journée à Aryna Sabalenka, la n°2 mondiale.
N'allez donc pas croire que l'Opening Week est une montée en puissance tranquille du tournoi avant le lancement du tableau final : dès le premier jour, c'est une véritable effervescence, un bouillonnement de joueuses et joueurs qui, aussitôt débarqués à Paris, n'ont qu'une idée en tête : aller taper la balle à "Roland". Ce qui n'est pas forcément tout à fait le cas, en réalité. Les 18 courts du Stade sont insuffisants pour caser tous les créneaux d'entraînement requis, d'autant que les courts annexes sont pour la plupart réquisitionnés une bonne partie de la journée pour les matchs des qualifications, désormais terminés.
L'organisation dispose donc de terrains supplémentaires, principalement au club voisin du Paris Jean-Bouin, près de la Porte d'Auteuil. On y trouve 15 courts, dont 4 dans une annexe du club, au cœur du Bois de Boulogne. Roland-Garros peut aussi compter sur des terrains au Stade Français, au centre du Tir aux Pigeons et même au Tennis Club de la Châtaigneraie, à Rueil-Malmaison, qui propose ses infrastructures indoor en cas de pluie. Soit au total une quarantaine de courts pour dispatcher ses entraînements.
Reste une (et même plusieurs) épineuse(s) question(s) à régler : qui s'entraîne quand et où ? Ça, c'est le travail du Pôle practice, une cellule de 18 personnes dirigée par Sophie Boussenac avec ses adjointes Aurélie Haehnel et Hélène Vinot. Toute la journée, avec leur équipe, les trois responsables de cette cellule entraînement ont pour mission de recueillir les desiderata des joueuses et des joueurs. Elles les intègrent ensuite dans un logiciel qui va les aider à en faire une répartition harmonieuse et équilibrée, en essayant de contenter tout le monde. Ce qui, on s'en doute, n'est pas toujours le plus facile.
"La semaine des qualifications, c'est la plus compliquée pour nous parce qu'on ne sait jamais vraiment le nombre de demandes que l'on aura, vu que les joueuses et joueurs du tableau final arrivent en ordre dispersé, explique Hélène Vinot, qui officie au Pôle practice depuis 1996. Pour les stars, on essaie d'avoir des informations en amont, via leur coach ou leur agent, afin de connaître leur jour d'arrivée et les créneaux auxquels ils souhaitent s'entraîner. Mais on ne peut pas le faire pour tout le monde. Alors, on attend que les autres viennent vers nous pour nous donner leurs requêtes."
Et à partir des premières informations recueillies, Hélène et ses collègues du Pôle practice commencent à remplir ce qu'ils appellent dans leur jargon le fameux "Qui-où" : qui va s'entraîner sur quel court, avec qui, et pour combien de temps. Tout un programme, qui semble parfaitement réglé le jour-J mais qui nécessite beaucoup d'huile de coude en amont. Car les requêtes se croisent, se décroisent, s'annulent... Et parfois, on s'en doute, s'entrechoquent.
Cela dit, tout le monde n'a pas les mêmes habitudes. Certes, les meilleurs préfèrent en général les grands courts, à l'instar de Novak Djokovic, un habitué du Central. Mais ce n'est pas systématique. A son arrivée à Paris, mardi, la n°1 mondiale Iga Swiatek a ainsi effectué un premier entraînement dans le cadre intimiste d'un court annexe à Jean-Bouin, plus loin du public et des caméras. Et pas plus tard que ce samedi matin, elle a de nouveau tapé la balle sur le "petit" court 16, celui situé à l'extrémité ouest du stade, à la lisière du Fonds des Princes. Rafael Nadal, le maître des lieux absent cette année, n'a également rien contre un entraînement "délocalisé" de temps à autre.
Mais s'ils le souhaitent, les meilleurs ont toutefois la priorité pour s'entraîner sur les plus grands courts. Un statut privilégié qui s'applique aussi aux joueurs français, dont les entraînements sont également susceptibles d'attirer plus de monde. A partir du milieu de la semaine des qualifications, quand tout le monde ou presque est arrivé sur place (à l'exception de celles et ceux encore en lice dans les différents tournois), cela devient logiquement impossible de caser tout le monde sur le Chatrier ou le Lenglen. Il faut faire des choix. Et ceux-ci sont faits en bonne intelligence, selon des critères sportifs mais aussi de programmation.
Exemple : l'Américain Aleksandar Kovacevic, adversaire de Novak Djokovic au 1er tour, a obtenu un créneau sur le Central ce samedi entre 17h et 18h. Le court est tellement immense que, pour des raisons d'équité, il faut bien permettre à ceux qui ne l'ont jamais foulé d'y prendre leurs repères. Quitte à ce que ce créneau soit, la plupart du temps, partagé avec un autre joueur. En l'occurrence, Kovacevic le partage avec Sebastian Baez, l'adversaire de Gaël Monfils au 1er tour. C'est un secret de polichinelle : ces matchs-là seront programmés sur des "show courts".
Parfois, souvent même, ce sont les joueurs – ou leur coach - qui s'arrangent entre eux pour partager une séance. Jeudi par exemple, premier jour de gros embouteillage à Roland-Garros, on a ainsi vu le n°1 mondial Carlos Alcaraz et l'ancien vainqueur du tournoi Stan Wawrinka effectuer un set d'entraînement sur le Central. De quoi ravir de nombreux détenteurs de billets pour l'Opening Week, qui ont désormais accès à ces entraînements sur les grands courts.
A défaut d'avoir un partenaire attitré, les joueurs ont aussi la possibilité de réserver un créneau en précisant qu'ils sont justement à la recherche d'un compagnon d'entraînement. Et si un autre joueur solitaire vient à formuler le souhait de taper la balle à un horaire similaire, le Pôle practice se chargera de faire "matcher" les deux demandes. Sinon, il y a aussi la possibilité de solliciter sparring partner au service du tournoi.
Ce fut l'option choisie par Corentin Moutet lors de sa première séance à Roland-Garros, effectuée mardi dernier sur le court Philippe-Chatrier, à un moment de la semaine où le trafic n'avait pas encore atteint son pic. Le Français a ainsi pu taper deux heures sur le Central, la première avec Marc-Antoine Gaillard, un jeune joueur classé -15 de l'US Bois-Guillaume, la seconde avec Terence Atmane, qui venait tout juste de perdre en qualifications. Au programme, notamment : de longues séances de gammes de fond de court.
"Lors de la semaine précédant un Grand Chelem, jusqu'au jeudi, on fait des entraînements très volumineux, jusqu'à 3h30/4h par jour en incluant du physique, pour habituer l'organisme à tenir la distance des cinq sets, nous éclaire Petar Popovic, l'entraîneur serbe de Moutet. Ensuite, on allège la charge pour accumuler de la fraîcheur. A peu de choses près, quasiment tout le monde respecte ce schéma. Ensuite, évidemment, le contenu de la séance varie selon le profil du joueur, son style de jeu et ses sensations du moment."
Pour Corentin Moutet, toujours dans l'incapacité de frapper son revers à deux mains après son opération du poignet droit (il est gaucher) il y a quatre mois, l'accent a été mis sur les gammes de coup droit. Le même jour, sur le court Suzanne-Lenglen, on a vu Caroline Garcia effectuer un long travail de service et de retour, en compagnie de Tristan Lamasine, qui officie en tant que sparring partner des joueuses de l'équipe de France.
Vu l'intensité du travail et le degré de pression accumulés juste avant un Grand Chelem, les joueurs éprouvent aussi le besoin de lâcher prise lors de ces séances d'entraînement qui sont souvent le théâtre de scènes cocasses. Notamment quand Novak Djokovic est dans les parages, avec ses jeux d'adresse dans le carré de service, ses concours de tennis-pétanque ou ses inénarrables imitations, comme celle de la gestuelle très caractéristique de son entraîneur Goran Ivanisevic.
Pendant tout ce temps, au Pôle practice, on retrouve un peu la même ambiance, à la fois studieuse et décontractée. Mais avec des journées au Stade qui s'étendent bien au-delà de celles des joueurs. "En général, on boucle la programmation du practice le soir à 20h pour le lendemain, conclut Hélène Vinot. Si certains joueurs ou coachs ne sont pas satisfaits de leur créneau, ils peuvent m'appeler à partir de cette heure-là, et si l'on constate qu'il reste des places quelque part, on peut leur proposer de nouveaux créneaux."
Hélène, qui est arrivée il y a 27 ans en même temps que le lancement du logiciel dédié au "booking" des practices, est bien placée pour témoigner que celui-ci a grandement facilité la procédure, par rapport à une époque où les demandes étaient notées à la main, et pouvaient faire l'objet de palabres sans fin. Mais la mission est un spectaculaire jonglage, d'autant que l'arbitrage, lui, reste humain. Et qu'entre-temps, la population de joueuses et joueurs a augmenté de façon exponentielle, avec un entourage toujours plus dense. Les entraînements, eux, sont devenus un spectacle à part entière, organisé en coulisses par un immense travail de l'ombre que l'on n'imagine pas forcément.