Tsonga - Simon, un long roman d'amitié…

Les deux Français, qui ont fait leurs adieux à Roland-Garros cette année, se connaissent depuis l'adolescence.

Gilles Simon Jo-Wilfried Tsonga 2022©Philippe Montigny / FFT
 - Rémi Bourrieres

Jo-Wilfried Tsonga et Gilles Simon ont tous deux disputé le tout dernier Roland-Garros de leur carrière cette année - et même le dernier tournoi tout court pour Tsonga. Ils y auront vécu un dernier grand frisson, bouclant ainsi la boucle d'une amitié qui dure depuis près d'un quart de siècle.

À part la terre battue et le gazon, on ne voit pas trop comment on peut faire plus opposés que Jo-Wilfried Tsonga et Gilles Simon, tant sur le plan du jeu que sur celui du style. Et pourtant, c'est un fait : les deux hommes sont liés depuis toujours ou presque par une destinée commune qui s'est poursuivie sur ce Roland-Garros, leur dernier, où ils auront vécu d'incroyables émotions. Peut-être les plus belles qu'ils aient jamais connues sur un terrain de tennis. Peut-être bien les dernières, aussi.

C'est même sûr concernant Jo-Wilfried Tsonga, qui aura joué, le mardi 24 mai 2022, le tout dernier match de sa carrière. Un match beau et cruel qu'il a fini en larmes et blessé, sur le court Philippe-Chatrier, face à Casper Ruud, non sans avoir magnifiquement résisté pendant quatre sets au très solide Norvégien. Le vieux lion a réussi à rugir encore, tout en nous hérissant une dernière fois les poils de la crinière. Avant de se coucher, définitivement.

Gilles Simon, qui a prévu pour sa part de continuer à jouer jusqu'à la fin de la saison, était là bien sûr pour assister à ce crépuscule et à la cérémonie qui a suivi, ensuite, sur le court. Quelques heures plus tard, vêtu du même polo noir de guerrier, il s'en est largement inspiré pour vivre à son tour un moment sensationnel sur le court Simonne-Mathieu, où il a battu Pablo Carreño Busta en cinq sets achevés au bout de la nuit, dans une ambiance de corrida.

"Ce qui m'a frappé dans son match, c'est qu'on a vu le vrai Jo une dernière fois, celui qui envoie des pétards de partout, celui que tout le monde aime et c'est pour ça qu'on a autant vibré devant son match, a déclaré ensuite "Gilou" en conférence de presse. Quand j'ai vu ça, même si ça m'a bouffé un jus pas possible, je me suis dit "la chance !" Et je me suis dit que ce serait bien aussi qu'on voit une dernière fois à Roland-Garros le vrai Gilles Simon, pas celui qui perd 2 et 1 en Challenger la semaine dernière, mais celui qui est courageux, qui peut se battre pendant 4h et qui essaie de trouver des solutions."

Eh bien, ce Simon-là, on l'a revu aussi. Et c'était beau aussi, d'autant que l'aventure s'est prolongée encore un match de plus pour lui, avant de s'arrêter logiquement au 3e tour face à Marin Cilic. Sans aucun regret. Le Niçois était à bout physiquement, tout simplement.

Rencontre en 1998, à Poitiers

Finalement, d'une manière ou d'une autre, Gilles Simon et Jo-Wilfried Tsonga auront toujours été proches l'un de l'autre. Nés à quelques mois d'intervalle (décembre 84 pour Simon, avril 85 pour Tsonga), ils sont les deux plus vieux (37 ans) de l'incroyable génération du Club des 4 qui aura fait les beaux jours du tennis français pendant 15 ans, aux côtés de Richard Gasquet et de Gaël Monfils. Ce sont aussi les deux qui se connaissent depuis le plus longtemps : ils ont suivi le même cursus fédéral, entamé en 1998 au Pôle France de Poitiers puis poursuivi à l'INSEP.

À l'époque toutefois, ils ne jouent pas dans la même catégorie. Tsonga a déjà un physique hors normes et s'impose rapidement, quelques mois après son arrivée à Poitiers, comme le meilleur joueur de sa catégorie, sacré Champion de France des 13/14 ans en 1999. Il dégage aussi déjà cette force tranquille, cette assurance au fond de lui qu'il est capable de battre n'importe qui, même des joueurs beaucoup plus âgés ou plus expérimentés. Avec la seule puissance de son service et de son coup droit, déjà impressionnante. Pour lui, le tennis est un jeu simple : rentrer dans le court, mettre des "sacs", gagner et rentrer chez soi.  

Pour Simon, c'est plus compliqué. À cause de son gabarit très léger, il est loin des références de son année d'âge et ne doit son maintien dans les structures fédérales qu'à la perspicacité de ses formateurs, notamment Dominique Poey à Poitiers puis Luigi Borfiga à l'INSEP, qui décèlent son potentiel à travers sa passion et son sens du jeu. Son petit gabarit et son absence de coup fort l'obligent à déployer des trésors d'ingéniosité sur le court pour rivaliser avec ses adversaires, à l'image d'un fameux match à Bressuire (tournoi 12 ans), où il pousse Richard Gasquet au tie-break du 3e set en passant trois heures à lui faire des cloches, pour l'empêcher de dérouler son tennis de virtuose. C'est à cette époque qu'il développe ses fameuses qualités de stratège qui l'accompagneront durant toute sa carrière.

Pendant que Tsonga éclot rapidement sur le circuit international juniors – victoire notamment à l'US Open 2003 -, Simon, lui, doit donc "ramer" encore quelques temps. Si bien que les deux jeunes hommes ne se voient plus beaucoup pendant plusieurs années, sans jamais se perdre de vue, mais tout simplement parce qu'ils ne jouent pas les mêmes tournois. Jusqu'à, en fait, leur percée au plus haut niveau, qui se fait en revanche à peu près en même temps, en 2007/2008.

Gilles Simon Jo-Wilfried Tsonga Masters 2008©Corinne Dubreuil / FFT

Auparavant, le Manceau a perdu du temps en raison d'une hernie discale et le Niçois a fini par le rattraper au prix d'une progression assez vertigineuse à la fin de sa croissance, qui s'est faite tardivement. Cette fin des années 2000, c'est peut-être la seule période de leur vie où ils évoluent véritablement au coude à coude, décrochant notamment en 2008 une qualification commune au Masters de Shanghai et finissant cette saison-là l'un derrière l'autre au classement (Tsonga 6e, Simon 7e).

"Imagine si un jour, on joue là ?"

En dehors du court aussi, Tsonga et Simon ont des personnalités très différentes. Le premier nommé est extraverti, aime sortir et être entouré. Le second est plus introverti, cérébral et solitaire. Et pourtant, entre les deux, les choses ont tout de suite "cliqué". Sans doute aussi parce qu'ils sont liés, depuis toujours, par le fil rouge d'une histoire commune, des émotions parallèles qui leur permettent aujourd'hui de pouvoir se comprendre sans avoir forcément besoin de se parler tous les quatre matins.

Jo-Wilfried Tsonga Gilles Simon ©Christophe Saïdi / FFT

"On a des personnalités différentes, mais on a vécu tellement de choses ensemble qu'entre nous c'est fluide, évident, confirme ainsi Gilles Simon en mettant ses autres compères du Big French dans le lot.… Ils font partie de ma vie, ils y sont ancrés à jamais. Je sais que si j'ai besoin d'eux un jour, ils seront là. Avec Jo, quand on était jeunes, on s'est parfois assis au bord du Central de Roland en se disant : 'Tu imagines si un jour on joue là ?' Et on a joué là."

La première fois qu'ils y ont joué, c'était la même année, en 2005. Et la dernière fois, ce sera aussi la même année, en 2022. La boucle est bouclée. Tsonga-Simon, Simon-Tsonga, c'est un vieux roman, une belle histoire dont un premier chapitre vient de se fermer. Mais qui est sans doute loin d'être terminée.