"Seulement" 43e joueuse mondiale, Karolina Muchova est une menace constante pour les joueuses les mieux classées. Armée de l'un des jeux les plus créatifs du circuit mais freinée par les blessures, la Tchèque de 26 ans a déjà évincé cinq pensionnaires du Top 10 en Grand Chelem depuis le début de sa carrière.
Karolina Muchova, fidèle à sa réputation
Tombeuse de Maria Sakkari au premier tour, la Tchèque évolue à un niveau bien supérieur à ce que son classement (43e) laisse présager.
Le cauchemar de Sakkari
A l'entendre s’exprimer, tout en flegme et en sérénité, il devient plus aisé de discerner en Karolina Muchova une joueuse capable de se défaire de têtes de série à coups de slices. Si la Tchèque ne siège pas à la table des favorites, il y a fort à parier que celles-ci cochent son nom avant chaque Majeur. Histoire de la placer dans la catégorie "à éviter à tout prix".
"C'est probablement la joueuse non tête de série la plus difficile à battre au premier tour", a confirmé Maria Sakkari avant son entrée en lice. La Grecque a témoigné en connaissance de cause : au bout de deux jeux décisifs, Muchova l’avait évincée de la Porte d’Auteuil dès le deuxième tour en 2022. La tête de série numéro 8 l’ignorait à cet instant, mais la Praguoise allait récidiver quelques jours plus tard (7/6 (5), 7/5), récoltant un quatrième succès consécutif face à une Top 10 en Majeur.
La demi-finaliste de l’Open d’Australie 2021 a réservé à l’Hellène son cocktail classique : le slice on clay. "J’essaie d’être agressive, de monter à la volée, de finir au filet, de glisser des amorties, des slices", a-t-elle confirmé après sa victoire au deuxième tour contre Nadia Podoroska (6/3, 0/6, 6/3).
"Créative" depuis toute petite
Sa chute de tension dans le deuxième set a d’ailleurs illustré le paradoxe Muchova. Son classement, relativement bas compte tenu de ses qualités, révèle une certaine inconstance. Ou, plus précisément, une malheureuse propension à se rendre à l'infirmerie. La Tchèque a souffert de maux de gorge pendant la première manche. Un moindre mal au regard des pépins qui ont freiné sa carrière.
A 16 ans, une poussée de croissance lui a coûté des blessures aux genoux, au dos et sa place parmi les espoirs tchèques les plus attendues. Celle qui a grandi à 50 mètres d’un court, au sein du même foyer qu’un père footballeur, a ainsi perdu l’avance accumulée. "Les blessures dont j'ai souffert reviennent un petit peu, donc il faut que je sois prudente, confirmait-elle au site de la WTA en mars dernier. Avant, je disais ‘Laissez-moi y aller’, puis j’aggravais les blessures. Je suis une tête de mule, je n’aime pas abandonner. Je veux toujours jouer, alors mon équipe doit me freiner."
Récemment, la Praguoise a d’ailleurs retrouvé le coach avec lequel elle s’était hissée à son meilleur classement : 19e mondiale, en mai 2021. Elle aime la méthode d’Emil Miske, qui lui laisse de la liberté. Sur le terrain aussi, elle laisse parler son instinct et alimente les réseaux sociaux de hot shots et autres tweeners. "Depuis que je suis petite, je suis très créative, a-t-elle assuré à WTA Insider. Parfois, c’est trop. Parfois, ça donne un trick shot, parfois c’est catastrophique et je me dis : ‘Mais qu’est-ce que tu fais ?’ J’essaie de trouver l’équilibre, mais je ne calcule pas."
"J'ai le jeu pour rivaliser avec n'importe qui"
Cette imprévisibilité lui permet de déstabiliser n’importe quelle joueuse. La droitière de 26 ans a déjà évincé cinq Top 10 en Grand Chelem. Sa plus belle œuvre ? Avoir renversé Ashleigh Barty en quarts de finale de l’Open d’Australie 2021 après un premier set concédé en 24 minutes et une prise de température en début de deuxième manche.
"Je pense avoir le jeu pour rivaliser avec n’importe qui, assure-t-elle. Je peux poser problème à tout le monde, si je joue bien et de façon intelligente. Bien sûr, j’emploie des tactiques différentes contre chaque joueuse. J’essaie de changer de rythme et trouver un moyen de les battre comme ça." Malgré son éventail de gadgets, seul un titre s’affiche sur son CV, soulevé à Séoul en 2019.
Il faut dire que la natte de Muchova ne s’est pas balancée au-dessus d’un court de septembre 2021 à mars 2022. Corsetée entre des soucis au dos et aux abdominaux, elle a dégringolé à la 235e place mondiale. Difficile, alors, de prétendre à un tableau favorable. "J’ai été blessée, je reviens et je reprends confiance, glisse-t-elle. J’ai changé de préparateur physique plusieurs fois ces dernières années, mais on essaie de gérer mon organisme différemment, de prendre un peu plus de repos ici et là pour en prendre soin et renforcer certaines zones."
Objectif tête de série
Si la joueuse d’1,80m traîne "toujours de petites blessures", comme n’importe quelle tenniswoman d’après elle, ses arrêts maladie sont moins longs. Elle aime aussi "avoir une vie en dehors du tennis" mais manque de temps. "Depuis l’Australie, j’ai l’impression de ne pas arrêter, confie-t-elle. Je ne sais pas combien de temps j’ai passé à Prague cette année, peut-être 20 jours. Les semaines s’enchaînent, un mois en Australie, un mois en Amérique. Donc si j’ai du temps libre, j’aime prendre du temps pour moi, voir mes proches. C’est agréable et… normal, j’en profite."
L'amie de Karolina Pliskova sait qu’elle "a besoin d’enchaîner des matchs" et des rencontres importantes. "J’essaie de retrouver un bon classement, embraie-t-elle. Je pense pouvoir être au moins tête de série lors d’un Grand Chelem." Les Majeurs, théâtres de ses exploits les plus marquants, lui perfusent ce soupçon de motivation et lui aiguisent l’appétit. "Je suis du genre à tout vouloir dans la minute, mais je dois être patiente."
Les amoureux de l’amortie ne lui en voudront certainement pas si elle fend le tableau de "Roland" dès cette année. Une poignée d’heures la sépare de son duel avec Irina-Camelia Begu (n°27) au troisième tour. L’occasion pour la Tchèque d’épingler une nouvelle tête de série à sa collection.