Pourquoi Federer est (aussi) un terrien

Il y a 20 ans, en 1999, Roger Federer, fraîchement auréolé de son titre de champion du monde juniors, effectuait sa première apparition en Grand Chelem. Une première réussie, à 17 ans, avec une belle résistance opposée à Pat Rafter, alors n°3 mondial, vainqueur en quatre sets. Et paradoxalement, le début d'une série de neuf défaites consécutives sur terre battue. Comme un malentendu qui allait s'achever un an plus tard avec un premier huitième de finale majeur atteint ici, Porte d'Auteuil.

Longtemps, le Suisse a ainsi entretenu malgré lui une relation très "je t'aime moi non plus" avec la surface ocre. C'est à Paris, toujours, qu'il a atteint en 2001 son premier quart en Grand Chelem. Avant d'enchaîner par deux terribles échecs au premier tour, en 2002 et 2003. C'est sur terre qu'il a obtenu son premier gros titre, le Masters Series de Hambourg, en 2002.

Mais c'est ailleurs qu'il a remporté ses 13 premiers Grands Chelems, avant de finalement toucher à son Graal parisien, en 2009. "Le début de ma carrière m'a un peu marqué. Après, ça m'a pris du temps", déclarait le Suisse dans un entretien à L'Equipe, cette semaine.

Non sans rappeler à l'envi son amour pour la terre battue, une surface sur laquelle il présente un palmarès à faire pâlir n'importe qui, avec 11 titres, dont six Masters 1000 et donc un Roland-Garros, où il a disputé quatre autres finales, toutes perdues contre Rafael Nadal. "Mais j'ai toujours aimé jouer sur terre et heureusement, Rafa ne m'a pas enlevé ça après toutes ces années."

Si personne n'ira évidemment jusqu'à dire que la terre battue est sa meilleure surface, Roger Federer y a de toute évidence des atomes crochus. Et ce parce que :

Il a grandi sur terre

Les courts en terre battue sont nombreux en Suisse et Federer y a usé plus d'une paire de chaussures, notamment dans son club formateur des Old Boys de Bâle. "Là-bas, je jouais sur terre été comme hiver, dehors ou dans des 'bulles'", rappelait Federer l'an dernier lors d'une conférence de presse.

Son ami d'enfance Marco Chiudinelli, ancien 52e mondial, faisait ainsi remarquer au quotidien média suisse Baz Online la facilité avec laquelle son compatriote s'adapte à la surface. "Le fait qu'il ait grandi dessus fait que Roger n'a pas besoin de réfléchir à la manière dont il doit changer de jeu quand il arrive sur terre. Ces changements se font naturellement."

Des propos corroborés par le Maestro, qui s'est déclaré surpris de constater à quel point ses premiers entraînements sur terre battue ont été "faciles" cette année.

Il a des armes naturelles

Georges Deniau, qui fut (notamment) capitaine de l'équipe suisse de coupe Davis, se souvient de la première fois où il a vu Roger Federer en compétition.

"C'était sur terre battue, à l'occasion des championnats d'Europe cadets. Il avait perdu contre Feliciano Lopez mais on voyait qu'il avait déjà des armes pour briller sur terre, notamment un excellent revers coupé. C'est un coup important sur terre battue car cela permet de faire beaucoup de choses : neutraliser l'échange, faire des amorties, forcer l'adversaire à jouer bas ou à monter au filet…"

Par la suite, Federer a mis son lift de revers au diapason du reste de son jeu, qui a désormais ce "spin" nécessaire pour accrocher à la terre. "Par rapport à un Sampras, Federer joue avec beaucoup plus d'effets, détaille Patrick Mouratoglou. Les gens ont parfois l'impression qu'il joue à ras du filet mais c'est faux. Il joue très tôt certes, mais avec beaucoup de hauteur par rapport au filet, donc de la sécurité. Il est capable de garder longtemps la balle en jeu."  

Il cultive sa différence

Si Federer n'est pas catalogué comme un joueur de terre battue, c'est principalement en raison de son tennis tourné vers l'offensive, loin des stéréotypes à l'espagnole, dont on connaît l'efficacité. Et si le Suisse est parfois tombé lui-même dans les travers de ce jeu qui ne lui est pas naturel, on a vu à Rome et Madrid cette année qu'il avait décidé de cultiver plus que jamais son tennis d'attaquant.

"Et il a parfaitement raison, souligne Sergi Bruguera, double vainqueur de Roland-Garros en 1993 et 1994. Il varie toutefois un peu plus par rapport à ce qu'il fait sur d'autres surfaces, c'est un excellent 'mix'", ajoute celui qui entraîne désormais Jo-Wilfried Tsonga.

"Le jeu que pratique Federer sur terre battue est celui que tout le monde devrait jouer, complète Georges Deniau. Avec Nadal, il est le seul à sentir parfaitement quand il faut écourter l'échange ou au contraire rester au fond, varier les effets, glisser un service-volée de temps en temps… Bref, pratiquer un tennis complet." De là à estimer que Federer est en train de révolutionner les standards classiques du jeu sur terre, il n'y a qu'un pas.

C'est simplement un joueur exceptionnel

On aurait peut-être dû commencer par là. Federer, comme Nadal et Djokovic, fait partie de cette trempe de joueurs tellement exceptionnels qu'ils peuvent s'adapter partout, sur sable s'il le fallait. Patrick Mouratoglou : "La terre battue n'est peut-être pas la surface qui sublime le plus son jeu, mais il bouge et il glisse naturellement bien. On ne peut pas vraiment le classifier." 

Le privilège, là encore, d'un tennis complet et d'un état de forme qui reste incroyable, à 37 ans. "Nous avons eu le privilège de nous entraîner mercredi avec lui et je peux vous dire qu'il joue extrêmement bien", dévoilait l'ancien vainqueur de l'Open d'Australie (2002) et désormais coach de David Goffin, le Suédois Thomas Johansson.

"On l'a vu déjà à Madrid et à Rome mais à mon avis, il sera encore un cran au-dessus à Paris. Même s'il doit jouer contre Nadal ou Djokovic, je lui donnerais une chance raisonnable de gagner. Surtout qu'à mon avis, pour une fois dans sa vie, il appréciera d'être un peu l'outsider." Un outsider que plus d'un terrien ne voudrait croiser sur sa route...