J10 : la carte postale

Anecdote, tranche de vie, moment fort... Chaque jour, Roland-Garros vous envoie sa carte postale.

 - Roland-Garros

Cher public,

Je ne vais pas te mentir, j'ai pris un coup sur la tête ce mardi avec l'annonce du forfait de Novak Djokovic. Un joueur qui se blesse, c'est toujours un crève-cœur. Mais quand il s'agit d'une légende, forcément, c'est encore pire. Surtout qu'avec ses 37 ans, je n'ai pas toutes les garanties de le revoir un jour, même si rien n'indique le contraire. J'espère de toute mon âme, en tout cas, que la formidable aventure que l'on partage depuis 19 ans ne s'arrêtera pas comme ça.

Tout cela (r)éveille en moi ce sentiment de nostalgie dont je t'ai beaucoup parlé depuis le début du tournoi. Il émane quand même de cette édition un parfum assez particulier, une odeur de fin de cycle qui imbibe tous les jours mes allées. Heureusement, qui dit fin d'une ère dit toujours début d'une autre. L'accession de Jannik Sinner à la place de n°1 mondial, conséquence directe du forfait de "Djoko", en est un beau symbole.

Même si le tennis est un sport qui nécessite de se focaliser sur le moment présent, personnellement, j'éprouve toujours le besoin de me projeter. En cela, j'ai une affection particulière – comme toi, je crois – pour le tournoi des juniors, qui bat son plein en cette deuxième semaine. Parce qu'au-delà de la qualité des matchs proposés, il y a un côté ludique à essayer de découvrir les pépites qui feront mes beaux jours demain.

Stan Wawrinka, Roland-Garros 2003, tournoi juniors© FFT

À l'œil nu, ce n'est pas évident de distinguer un junior d'un joueur de l'élite. La technique est déjà aboutie, ça tape très bien dans la balle. C'est dans la longueur d'un match que se nichent les différences. La constance dans l'effort n'est pas la même. Un instant d'inattention, un appui qui s'échappe, une petite baisse de régime… Entre deux coups magnifiques, les juniors, qui sont des joueurs encore en formation sur le plan physique comme sur le plan mental, sont plus facilement à la merci de moments de relâchement.

Un accomplissement, mais pas une fin en soi

J'en veux pour preuve cette mésaventure vécue par le Roumain Luca Preda, impeccable pour sauver quatre balles de match face au tout jeune Français Moïse Kouame, avant de craquer sur la cinquième en commettant une terrible erreur sur un smash tout fait, au bout d'un féroce combat. Un miracle pour Moïse, si je puis me permettre. Mais un coup dur pour son adversaire, dont je tiens à saluer la dignité dans le comportement.

Si cela peut le consoler, sa défaite, aussi difficile soit-elle, ne présage en rien du champion qu'il sera demain. Il y a de nombreux indicateurs pour (essayer de) détecter le futur d'un joueur et si les résultats sont, bien sûr, un critère important, il y en a beaucoup d'autres : le jeu, l'attitude, la marge de progression, la compétitivité et parfois ce "je-ne-sais-quoi" qui fait qu'un joueur se distingue des autres, par son style ou par sa façon d'être. Il y a aussi un facteur X, des paramètres incontrôlés rendant impossible la prédiction de l'avenir. Mais c'est la règle n°1 des chasseurs de têtes : un joueur qui se fond dans le moule a peu de chances de sortir du lot.

C'est pour cela que si la conquête de mon épreuve juniors est un accomplissement magistral sur le plan sportif, ça n'est pas non plus une fin en soi pour ceux qui visent plus haut. D'ailleurs, la lecture du palmarès fait apparaître des noms qui sont devenus extrêmement connus, d'autres beaucoup moins. Le tennis de haut niveau n'est pas un sprint mais une course de fond, avec des points de passage intermédiaires dont les juniors font partie. Les enjeux sont énormes, mais ce ne sont pas forcément les premiers à ces points de passage qui seront les premiers à l'arrivée.

Dominic Thiem, Bjorn Fratangelo, juniors, finale, Roland-Garros 2011 ©Christophe Saidi / FFT