Duels au couteau, retournements de situation, personnalités atypiques, épisodes méconnus : au cours de cette édition 2022, le site officiel du tournoi vous propose de revisiter quelques moments mythiques de l’histoire de Roland-Garros. Episode 2 : gagner après avoir été mené… 5-0, 40-0 dans le set décisif.
Il était une fois... - 5-0, 40-0 et puis….
Épisode 2 : gagner après avoir été mené… 5-0, 40-0 dans le set décisif.
Si vous jouez un tant soit peu au tennis, vous le savez, ou avez dû en faire l’expérience : on peut perdre un match très bien engagé. Mener - et même largement - n’est pas l’assurance tout risque dans ce sport où les émotions sont parfois plus pernicieuses que l’adversaire. Toutefois, s’incliner en ayant eu l’avantage ultime - 5-0, 40-0 dans la dernière manche - relève de l’accident industriel, si l’on ose la comparaison. Dans la longue histoire de Roland-Garros, ce crash absolu pour le perdant - ou ce miracle pour le gagnant - ne s’est produit qu’à deux reprises, en 1958 et en 1995. C’est peu et beaucoup à la fois si l’on tient compte de l’improbabilité d’un tel scénario.
Le bruit des sièges du Central qui claquent...
En ce dimanche 25 mai 1958, Robert Haillet, opposé à Budge Patty en huitièmes de finale, commence à entendre claquer les sièges du Central en cette fin d’après-midi. Son adversaire, le légendaire américain, 37 ans, vient de se détacher 3-0 dans le cinquième set et les spectateurs n’y croient plus. Le bruit, comme Haillet l’a souvent raconté, devient même assourdissant à 5-0. Le joueur, qui terminera numéro un français cette année-là, apprécie moyennement de se sentir condamné et l’improbable va se produire.
A 5-0, 40-0, trois balles de match pour son adversaire, Haillet réussit alors tout ce qu’il entreprend : il aligne neuf points de suite pour revenir à 5-2. Et ça continue, 5-3, 5-4… "Je ne ratais plus rien et j’étais porté par les spectateurs qui n’avaient pas quitté le stade et qui revenaient sur le Central par centaines". Haillet écarte alors deux nouvelles balles de match. Sur la deuxième, Patty, déboussolé, crie même "out" en plein échange ! C’est le chant du cygne pour le lauréat du tournoi 1950. L’Américain s’effondre définitivement, ne marque quasiment plus un point et s’incline 7/5, 5/7, 8/10, 6/4, 7/5. "Je suis désolé pour toi Budge mais si tu savais combien je suis content, tu devrais être consolé", glisse l’heureux homme à sa victime. Le lendemain, L’Equipe consacre sa Une à l’exploit et titre joliment : "Impossible, pas français !"
Novotna si près
Il faut attendre 37 ans pour assister de nouveau à pareil retournement. En ce samedi de la première semaine de l’édition 1995, le programme du Central s’est ouvert par un duel féminin entre Jana Novotna, tête de série n°5, et une jeune Américaine en devenir : Chanda Rubin, 19 ans, 53e mondiale. Ce bel espoir du tennis US est doté d’une formidable qualité de frappe et s’en va empocher la première manche à la surprise générale. Au culot, Rubin a même effacé deux balles de set. Parmi le public qui commence à garnir les tribunes, on se dit que la spontanéité de Rubin ne va durer qu’un temps. Effectivement, Novotna, dont le jeu porté vers le filet en fait une joueuse à part sur le circuit, resserre l’étau. La Tchèque s’adjuge le deuxième set et s’envole encore plus logiquement dans la troisième manche : 5-0, 40-0.
Novotna craque encore
La suite appartient tout autant à la magie parfois mortelle du tennis, ses sortilèges, son diabolique comptage des points mais aussi et surtout au drame intime de la Tchèque : son incapacité à conclure certains matchs. Personne n’a oublié Wimbledon 1993 : en finale contre Steffi Graf, Jana avait mené 4-1, balle de 5-1 dans l’ultime set. Ses larmes lors de la cérémonie protocolaire, la tête posée sur l’épaule de la Duchesse de Kent, avaient ému la planète tennis.
Les larmes sont encore loin alors qu’elle s’apprête à en finir contre Rubin. Personne ne peut imaginer ce qui va suivre. Sûrement pas Novotna et encore moins son adversaire. Une pluie fine, qui va alourdir la terre battue, commence à tomber. Rubin sauve alors trois premières balles de match et son engagement. "Mon objectif était d’éviter le 6/0", expliquera-t-elle ensuite.
Ce jeu gagné pour l’honneur a pour effet de la décontracter illico. Et sur l’engagement de son adversaire, le courage avec lequel elle efface sa sixième balle de match - une accélération de revers météoritique - enflamme le stade. Quelque chose vient de changer. Le public le sent. Et Novotna bascule dans un stress dont elle n’arrivera pas à se départir. Rubin, portée par cette dynamique nouvelle, annule trois autres balles de match - ça fait neuf, donc ! - et file vers la victoire dans une ambiance de kermesse.
Après 2h50, l’Américaine s’impose 7/6, 4/6, 8/6. Devant la presse, la Tchèque, pressée de questions, craque complètement : "Combien de fois est-ce arrivé à Sabatini, hein ! Vous n’avez qu’à lui en parler !" C’est vrai, la championne argentine a parfois failli, comme lors de l’édition 1993, où elle s’était inclinée contre Mary Joe Fernandez après s’être détachée 6/1, 5-1 et avoir compté cinq balles de match. Mais en ce samedi de mai 1995, Novotna a, hélas pour elle, fait bien plus fort.