J7 : la carte postale de Roland

Anecdote, tranche de vie, moment fort... Chaque jour, Roland-Garros vous envoie sa carte postale.

 - Roland-Garros

Cher public,

Même si les apparences jouent contre moi, je te promets n'avoir pas décidé, cette fois, de me produire en octobre. Mais c'est vrai que la météo pour le moins capricieuse qui m'accompagne cette année me rappelle étrangement l'édition 2020, celle de la triste période Covid, qui s'était tenue en automne. Un millésime auquel tu n'as que très peu participé puisqu'il s'était tenu en quasi huis clos. Mais tu as certainement été marqué quand même par ce qui s'y était passé.

Si le train était finalement arrivé à l'heure, avec le triomphe de Rafael Nadal et d'Iga Swiatek, on avait vu cette année-là des choses assez extraordinaires. Comme, par exemple, l'éclosion d'Hugo Gaston, huitième de finaliste avec son tennis magique et ses sublimes amorties. Ou encore la surprise créée par l'Argentine Nadia Podoroska, devenue la première qualifiée à se hisser en demi-finales chez moi. À conditions de jeu exceptionnelles, aventures exceptionnelles.

C'est d'autant plus vrai sur la terre battue, qui est, comme tu le sais, une surface très changeante selon la météo. Plus il fait chaud et sec, plus elle s'accélère. Plus il fait froid et humide, plus elle se ralentit. Dans le premier cas, la couche de brique pilée s'assèche et devient volatile. Dans le second, elle se "compacte" et s'alourdit, augmentant le contact de la balle avec le sol de quelques nanosecondes. Cela paraît dérisoire, mais dans un sport où tout se joue au papier de cigarette, cela change beaucoup de choses.

La patte gauche de Moutet, les "moonballs" d'Avanesyan

Je ne sais pas ce que tu en penses, mais j'ai le sentiment que ce cru 2024 favorise également l'émergence de destinées inattendues, et d'un tennis différent. Je fais notamment référence à Corentin Moutet, qui me rappelle un peu Hugo Gaston, avec sa patte gauche enchanteresse.

Pour ces joueurs-là, au talent génial mais au petit gabarit, ce n'est pas toujours évident de briller dans une ère dominée par la puissance brute. Les conditions ralenties leur redonnent un espace d'expression plus important, où l'aspect tactique reprend du poil de la bête, où le "tricotage" de balle redevient une arme majeure. Un adversaire mal préparé peut vite s'y embourber.

Dans un autre style que Moutet, as-tu vu la manière dont Elina Avanesyan a créé la surprise ce samedi face à Qinwen Zheng ? Par une campagne de "moonballs" qui a fini par désarçonner la solide Chinoise, jusqu'à lui faire perdre la tête. Une tactique totalement anachronique mais diaboliquement efficace, surtout quand elle est combinée aux atouts techniques et tactiques du tennis moderne. Et quelque part, je suis ravi de constater que ce tennis a encore toute sa place dans notre belle époque. Cela me rappelle ma jeunesse. Alors, tu vois bien que la pluie n'a pas que des mauvais côtés !

Elina Avanesyan, troisième tour, Roland-Garros 2024©Corinne Dubreuil / FFT