Darren Cahill, l'homme qui crée des n°1 mondiaux

Entraîneur de Jannik Sinner avec Simone Vagnozzi, l'Australien deviendra officiellement lundi, coach du quatrième n°1 mondial de sa carrière. Portrait.

 Darren Cahill, quarts de finale, Roland-Garros 2024©Julien Crosnier / FFT
 - Naël Makhzoum

Lundi, Jannik Sinner deviendra le 29e numéro un mondial du tennis masculin, le premier Italien de l'histoire à atteindre ce graal. Dans son box, aux côtés de Simone Vagnozzi, son deuxième entraîneur est australien. Darren Cahill, 58 ans, n'était pas le joueur le plus connu du circuit mais depuis 25 ans, il rayonne en qualité de coach.

Ce vendredi, à l'inverse de son homologue dans le box d'en face, lui n'a pas été l'un de ces protagonistes habitués aux sommets sur les courts. Il n'a pas remporté de tournoi du Grand Chelem et n'a pas été n°1 mondial, comme Juan Carlos Ferrero, aujourd'hui entraîneur de Carlos Alcaraz. Raquette en main, son plus grand fait d'armes reste cette demi-finale de l'US Open 1988 face à Mats Wilander, dans une carrière écourtée par des problèmes de genoux qui lui ont valu sept opérations en trois ans, au début des années 1990.

Une affaire de famille

En revanche, Darren Cahill affiche l'un des CV les plus fournis du monde du tennis en tant qu'entraîneur. Après avoir rejoint Simone Vagnozzi en juin 2022 pour s'occuper de Jannik Sinner, il vient de propulser l'un de ses poulains au premier rang mondial (il l'atteindra officiellement lundi) pour la quatrième fois en 23 ans. "Je me souviens de la première semaine, c'était à Eastbourne, sur gazon, s'est remémoré le joueur italien après avoir appris la nouvelle, mardi. Immédiatement, j'ai senti que ça passait bien avec lui, parce qu'il a déjà beaucoup d'expérience, bien sûr, et aussi parce que je sais qu'il a réussi à pousser plusieurs joueurs à ce rang de n° 1. Ça a marché avec d'autres parce qu'il sait comment s'adapter à chacun. C'est une qualité assez exceptionnelle."

Cette vocation, le natif d'Adélaïde, au sud de l'Australie-Méridionale, la tient peut-être de son père, John, lui aussi entraîneur réputé... de football australien, sport mêlant football et rugby qui jouit d'une immense popularité au pays des wallabies. Ses soucis physiques - au début des années 90, donc - vont pousser Darren Cahill à se lancer dans le coaching. À ses débuts, il prend en charge un jeune de 12 ans promis à un bel avenir dans le tennis. Quelques années plus tard, il retrouvera ce petit "Lleyton" et changera de dimension à ses côtés.

Lleyton, Andre, Simona : même combat

En décembre 1998, les deux hommes entament leur collaboration et vivent une expérience inédite : la découverte de la tournée mondiale. Lleyton Hewitt n'a que 17 ans mais frappe déjà à la porte du top 100. Ensemble, ils mettront trois ans pour décrocher le graal : un premier titre en Grand Chelem à l'US Open, puis l'accession au rang de n°1 mondial. Cahill vient d'écrire la première ligne de sa légende.

Celle d'un entraîneur qui emmènera ses talents jusqu'au sommet du classement mondial. Ou, parfois, qui les fera y revenir. Ce sera le cas avec Andre Agassi, avec lequel il travaillera entre 2002 et 2006. Cette fois, la donne est différente : l'Américain a déjà remporté sept Majeurs et été n°1 mondial en 1995, 1999 et 2000. Mais le challenge convient plutôt bien à Cahill, unanimement reconnu pour son apport dans les petits détails plutôt que dans la tactique pure. Là encore, cela paie. Agassi s'essaie aux cordages en polyester et retrouve le toit du monde : il remporte son huitième et dernier Grand Chelem à Melbourne en 2003 et redevient n°1 mondial la même année.

Consultant pour ESPN depuis 2007, l'Australien passe tout près de devenir le nouvel entraîneur de Roger Federer en 2009, avant de véritablement reprendre du service en 2016. Une autre époque et un autre circuit puisqu'il coache Simona Halep. La Roumaine est habituée du top 10 mondial depuis deux ans, mais a toujours plafonné au deuxième rang. L'histoire se répète alors : elle arrive enfin à passer le cap fin 2017 en devenant n°1 mondiale, avant de remporter son premier Grand Chelem à Paris, l'année suivante.

Avec Sinner, un autre rôle

Jannik Sinner a quant à lui fait le choix de se séparer du mentor qui l'accompagnait depuis ses 13 ans alors qu'il était aux portes du top 10 mondial, en 2022. À l'époque, la décision a interpelé. "Les années avec Riccardo (Piatti) à Bordighera m’ont fait devenir ce que je suis et je ne les oublierai jamais, mais j’ai senti que j’avais besoin de faire un pas en avant, s'était alors justifié le prodige italien à La Gazzetta dello Sport. Je travaille sur de nombreux aspects sans perdre ma caractéristique principale, à savoir être un joueur agressif du fond du court. J’ai été courageux, d’autres n’auraient peut-être pas opté pour un changement aussi radical, mais je suis convaincu que je parviendrai à trouver l’équilibre définitif que je recherchais."

À l'évidence, l'année 2024 semble lui avoir donné raison. Vainqueur de son premier Majeur à Melbourne, Sinner est aujourd'hui le meilleur joueur du circuit et deviendra n°1 mondial lundi. "Honnêtement, mon rôle avec Jannik est un peu différent de ceux que j'ai tenus par le passé et 99% du mérite en revient à Simone (Vagnozzi), expliquait Darren Cahill après le titre de son protégé. Il a fait un boulot incroyable. Moi, je suis plus dans un rôle de superviseur. Bien sûr, on parle tactique ou technique mais c'est Simone qui a la main dessus. […] Une partie de notre boulot consiste à l'aider à vivre certaines expériences et à construire cette résilience."

Sinner abonde : "C'est bien de les avoir tous les deux, parce qu'ils sont différents mais travaillent bien ensemble. Ils sont humbles, se respectent vraiment beaucoup l'un et l'autre." La méthode semble porter ses fruits : l'an dernier, Cahill et Vagnozzi ont été élus entraîneurs de l'année 2023 par l'ATP. Et une ligne de plus sur le CV !