Iga Swiatek n'a plus perdu le moindre match depuis le mois de février. Surpuissante, affûtée, explosive et débordante de confiance, elle déroule un tennis quasiment parfait qui fait d'elle la grande favorite de la finale du simple dames, ce samedi, face à Coco Gauff. Mais comment parvient-elle à maintenir ce rythme effarant ?
Swiatek, la femme qui ne savait pas perdre
En tennis, le plus dur est paraît-il de gagner ses matchs, particulièrement les finales. Pour Iga Swiatek, il semble que ce soit le contraire.
L'acceptation de la défaite est, paraît-il, la première pierre avec laquelle les champions bâtissent les fondations de leurs succès. C'est une philosophie souvent expliquée par Rafael Nadal, et brillamment démontrée ici par l'une des plus grandes fans du Majorquin, Iga Swiatek. Arrivée à Paris en immense favorite, lestée (ou plombée ?) d'une série de 28 victoires entamée en février dernier à Doha, la n°1 mondiale a tout de suite tenu à mettre les choses au point en déclarant : "Je sais que je vais perdre à un moment. Et je veux être prête à cela." Une manière habile de se décharger d'un poids sans doute plus lourd à porter qu'on ne le croit.
Car gagner au tennis, c'est bien. Mais à un certain point, c'est presque trop. Pas un jour sans qu'on rappelle à Iga les chiffres vertigineux qu'elle est en train d'établir. Là voilà à 34 victoires consécutives, d'ores et déjà le record du 21e siècle. Dans l'ère Open, seules six joueuses ont fait mieux : Martina Navratilova (record à 74), Steffi Graf (66), Margaret Court (57), Chris Evert (55), Martina Hingis (37), Monica Seles (36) et Venus Williams (35), que la Polonaise égalera donc si elle bat Coco Gauff en finale. Une seule défaite et tout ce bel édifice s'écroulera comme un château de cartes. Iga Swiatek ne joue pas seulement contre ses adversaires : elle joue désormais aussi contre le poids de l'histoire.
Gagner quand on ne doit pas perdre, quand on ne vous en donne même pas le droit, quand tout le monde pense que c'est facile, c'est sans doute, justement, le plus difficile. La manière dont Iga Swiatek l'a géré jusque-là force l'admiration. "Je ne savais pas comment j'allais gérer mentalement ici après une telle série de victoires, expliquait-elle après sa victoire contre Daria Kasatkina en demies. Je ne pouvais pas faire complètement abstraction des attentes, mais j'ai essayé d’accepter la pression inhérente à ces attentes. J'avais totalement conscience que ma série pouvait prendre fin à tout moment. J'avançais donc pas à pas, sans objectif particulier. Je voulais juste voir comment mon jeu allait se développer. Au final, il est de plus en plus solide au fil des matchs. Je suis vraiment fière de moi."
Il y a eu, aussi, un match fondateur dans cette progressive libération : son huitième de finale compliqué face à la révélation chinoise Qinwen Zheng, la seule à lui prendre un set durant la quinzaine et même la première à lui prendre un set depuis plus d'un mois. "Ce match m'a certainement aidée, confirmait-elle. Ça m'a confortée dans ma capacité à gérer une situation de stress, en m'appuyant sur mes acquis techniques et physiques. En plus, à partir du moment où j'ai atteint les quarts, stade auquel j'avais perdu l'an dernier, j'ai eu la sensation de remplir le minimum de mon contrat. À partir de là, j'ai réussi à me libérer." Jessica Pegula puis Daria Kasatkina, respectivement balayées en quarts (6/3, 6/2) et en demies (6/2, 6/1) par la tornade, l'ont constaté à leurs dépens.
Un travail mental à long terme
Si l'ensemble de son parcours, hormis ce set perdu face à Zheng, ressemble globalement à un long fleuve tranquille, les mots choisis par la n°1 mondiale montrent bien à quel point ce qu'elle traverse ici est très particulier. Beaucoup plus finalement que lors de son premier sacre en 2020, au terme d'une quinzaine qu'elle avait survolée par surprise avec toute l'insouciance de ses 19 ans. Désormais, elle est la cible, la femme la plus traquée du tennis mondial. À tout juste 21 ans, il faut assumer ça.
De l'extérieur, cela peut paraître facile. De l'intérieur, c'est un travail de tous les jours, un combat intérieur que Swiatek ne mène pas seule mais avec l'aide de toute son équipe, et notamment sa psychologue Daria Abramowicz, qui l'accompagne depuis début 2019. "Je n'essaie pas d'intérioriser les choses, je parle de tout ça avec mon staff. Daria sait comment me guider vers la bonne solution pour me détendre. Toutes ces conversations que j'ai avec mon coach (Tomasz Wiktorowski) et ma psychologue me sont utiles. Nous avons une routine qui marche très bien."
On pourrait croire pourtant, à la voir aligner les corrections, que Swiatek est une sorte d'Amazone à sang-froid. Ce serait oublier l'extrême émotivité d'une jeune fille souvent à fleur de peau, capable de se mettre à pleurer en plein match l'an dernier à l'US Open contre Fiona Ferro ou au Masters face à Maria Sakkari. Sa parfaite gestion émotionnelle, ici, ne tombe pas du ciel : elle est le fruit d'une réflexion et d'une remise en question permanentes. Et puis, les pièces du puzzle se sont mises en place cette saison, avec l'expérience, peut-être aussi avec le déclic provoqué par le départ à la retraite soudain de la précédente patronne, Ashleigh Barty, qui lui a en quelque sorte laissé les clés du camion. Encore fallait-il être capable de les saisir. Elle l'a fait d'une brillante manière.
Mais puisque le tennis est une éternelle quête de confirmation, reste donc à le faire dans le plus important des rendez-vous de son agenda printanier : la finale de Roland-Garros. La manière dont la Polonaise a mené jusque-là son affaire suggère que ce n'est pas maintenant qu'elle va s'écrouler.
Surtout que les finales, c'est un peu la spécialité maison : passée la toute première qu'elle a perdue sur le circuit WTA en 2019, Swiatek les a ensuite toutes gagnées (8/8) à la manière d'un ouragan, sans perdre un seul set et avec une moyenne de 3,5 jeux cédés par match. Un secret ? "C'est difficile à dire. J'essaie d'aborder ces matchs comme les autres. Là encore, j'accepte le stress de ces rendez-vous. Je me dis que mes adversaires sont aussi stressées et je me focalise plutôt là-dessus. J'essaie aussi de m'appuyer sur l'état d'esprit et les forces qui m'ont permise d'arriver jusqu'en finale."
Ce samedi, on ne voit vraiment qu'une seule raison qui ferait qu'Iga Swiatek pourrait perdre. Cette raison, c'est Cori Gauff, dont l'incroyable potentiel en plein éveil peut venir contrecarrer les plans de la patronne. Mais la jeune Américaine est sans doute la première à savoir que cette finale, elle devra aller la gagner. Car Iga Swiatek, elle, ne semble plus pouvoir perdre.