Les larmes ont coulé, les cœurs ont battu très fort puis se sont presque arrêtés, les poings se sont serrés et levés très haut et les "Si se puede" sont descendus frénétiquement des tribunes durant une soirée et une nuit définitivement pas comme les autres. D’abord joueur puis coéquipier modèle et enfin orateur tantôt réservé, tantôt bouleversé, Rafael Nadal a "bouclé la boucle" d’une carrière professionnelle extraordinaire que personne ne souhaitait voir s’arrêter.
Rafael Nadal : récit d'une dernière danse émouvante et éprouvante
À l’issue d’une défaite déchirante en Coupe Davis, le Majorquin a fait ses adieux au tennis.
La dernière arène du "Taureau de Manacor"
Parés de rouge, les gradins bondés du Palais des Sports José Maria Martin Carpena de Malaga n’ont pas attendu les premiers coups de raquette pour s’enflammer et célébrer comme il se doit leur sélection et bien évidemment, leur roi. Entré le dernier sur le court, Rafael Nadal a adressé des salutations appuyées aux milliers de supporters présents, millions si l’on compte tous ceux qui étaient scotchés derrière leur petit écran. Bien difficile, à ce moment précis, de garder pour lui le torrent d’émotions qui l’a envahi.
Mais les yeux embués de larmes ont rapidement laissé place au regard noir de celui qui restera à tout jamais "l’homme aux 22 titres du Grand Chelem". Malgré le contexte et les apparences, cette énième rencontre de Coupe Davis (il a soulevé quatre saladiers d’argent et participé à cinq conquêtes victorieuses, n’ayant pas pris part à la finale en 2008) ne s’apparentait pas à un jubilé pour "Rafa", lancé dans l’arène pour tenter d’apporter un premier point à ses coéquipiers. Invaincu en simple depuis sa défaite inaugurale en février 2004 (29 victoires consécutives) il avait pour périlleuse mission ce mardi de faire perdre son sang-froid à Botic Van de Zandschulp.
Seulement, ses très bonnes intentions ont été rattrapées par la réalité du terrain. Trop timide et pas assez tranchant, le Majorquin a laissé son adversaire s’installer et frapper plus de coups gagnants que lui, notamment via des revers surpuissants. Breaké au pire des moments dans la première manche et bien incapable de rendre la pareille au Néerlandais malgré de nombreuses doubles fautes, il a subi une marée orange pendant cinq jeux consécutifs, se retrouvant dos au mur après moins d’une heure de bataille (4/6, 0-2). Un genou à terre mais toujours fidèle à sa légende de guerrier qui n’abandonne jamais, il est enfin parvenu à trouver plus de longueur, tout en continuant à multiplier les services-volées. Mais ses poings serrés et ses VAMOS à répétition ont certes fait trembler la salle mais "VDZ", bien que bousculé, n’a jamais perdu de vue son objectif.
On ne le savait pas encore mais après 1h53 de match (6/4, 6/4), il venait de mettre un terme à la carrière d’un Rafael Nadal déçu mais lucide. "C’est une journée riche en émotions, a-t-il confié à l’issue de la rencontre. Je savais que c’était peut-être mon dernier match en tant que joueur de tennis professionnel. Les moments qui ont précédé la rencontre ont été émouvants et difficiles à gérer de manière générale. J’ai essayé de faire de mon mieux […] Si j'étais capitaine, je ne me ferais pas jouer au prochain match si nous nous qualifions. D’un côté, c'est une bonne chose que ce soit mon dernier match. J'ai perdu mon premier simple en Coupe Davis, et le dernier. La boucle est bouclée."
Alcaraz s’est battu, en vain
À cet instant de la soirée, les espoirs de repousser les adieux du héros national reposaient sur les épaules de Carlos Alcaraz. Tristes et défaites pendant de longues minutes, les tribunes ont redonné de la voix pour aider leur leader à assumer cette immense responsabilité. Cueilli à froid par Tallon Griekspoor, le Murcien a immédiatement débreaké avant de se montrer impérial dans le tie-break puis de s’envoler vers un succès logique et salvateur (7/6(0), 6/3 en 1h25).
Chaleureusement encouragé par son modèle et idole tout au long de la partie, il a répété son énorme motivation quelques instants seulement avant de reprendre les armes en compagnie de Marcel Granollers. "J’ai bien commencé le match, j’ai simplement perdu ma concentration au cours d’un jeu, a-t-il analysé. J’ai manqué quelques coups droits et je l’ai laissé faire le break mais j’ai essayé de rester positif. Je suis vraiment heureux d’avoir gagné en deux sets […] Il y a beaucoup d’émotions aujourd’hui mais une fois sur le court il faut tout oublier et jouer son meilleur tennis. C’est un tournoi très important pour moi et je pense que c’est le cas pour tout le monde. Je voulais gagner et donner une chance à l’Espagne de se qualifier. Je l’ai fait pour Rafa."
Charme absolu de la Coupe Davis, le double décisif portait alors particulièrement bien son nom pour Rafael Nadal. Mais celui qui a fait équipe avec Carlitos pendant les Jeux olympiques et qui a tant de fois mis son talent au service de son drapeau par le passé devait cette fois se contenter d’apporter conseils et soutien derrière le banc. Les cordes vocales ont vibré, le suspense a été prolongé mais les Pays-Bas de Wesley Koolhof et Botic Van de Zandschulp (encore lui !) ont fini de mettre un terme aux espoirs de revoir Rafa sur un court cette semaine (7/6(4), 7/6(3)).
"Vamos Rafa, Gracias Rafa !"
Plus encore que tout au long de cette folle soirée, c’est à ce moment précis qu’il fallait avoir le cœur bien accroché. À Malaga et partout dans le monde, tous les fans de tennis ont pris conscience qu’ils venaient d’assister à un événement majeur et que plus rien ne serait comme avant. Après avoir pris le temps d’étreindre tous ses coéquipiers, le roi s’est avancé, sonné et ému, afin de regarder une vidéo d’hommages appuyés de ses plus grands rivaux Roger Federer, Novak Djokovic et Andy Murray mais aussi de Serena Williams, Conchita Martinez ou encore des stars du football comme David Beckham, Andres Iniesta et Iker Casillas.
Entre les "Vamos Rafa, gracias Rafa !" et les "Rafaaaa, Rafaaaa" entonnés par l’assistance, l’immense champion a également pris le temps d’exprimer sa gratitude, sa fierté et de chaudement remercier ses proches.
"C’est moi qui devrais vous remercier… Mais il y a tant de gens, c’est difficile de savoir par où commencer, a-t-il lancé en préambule. Pendant 20 ans, vous m’avez toujours soutenu. Dans les bons moments, vous m’avez aidé à gagner le point suivant et dans les mauvais, vous m’avez poussé à continuer à me battre. En Espagne et dans le monde en général, je me sens très chanceux d’avoir reçu autant d’affection […] La réalité, c’est que vous ne voulez jamais que ce moment arrive, je ne suis pas fatigué de jouer au tennis mais mon corps ne veut plus. Il faut accepter la situation et je me sens très privilégié. J'ai pu faire de l'un de mes hobbies une carrière, et cela a duré bien plus longtemps que je ne l'aurais imaginé. Je ne peux qu'être reconnaissant […] J’ai eu la chance d’avoir un oncle entraîneur et une famille formidable qui m’a soutenu à chaque instant. Je veux qu’on se souvienne de moi comme une bonne personne, un enfant qui a poursuivi ses rêves et qui a réalisé plus que ce qu’il ne pouvait imaginer."
Aucun doute, tout le monde se souviendra de ce 19 novembre et de Rafael Nadal, qu’il s’agisse du joueur ou de la personne. L’homme a fait ses adieux mais la légende perdurera toujours.