Iga Swiatek a l'occasion - ce samedi (15h) face à Karolina Muchova - de décrocher son troisième Roland-Garros en seulement cinq participations, un exploit qu'aucune joueuse n'a réussi depuis Chris Evert au début des années 70. Comment la Polonaise est-elle devenue à ce point une terreur de l'ocre ? Décryptage.
Pourquoi Swiatek est-elle si forte sur terre ?
Depuis trois ans, la n°1 mondiale est quasi injouable sur sa surface favorite.
Sur les traces de Nadal et Evert
Iga Swiatek ne cesse de répéter qu'elle n'égalera jamais les chiffres dingues de son idole d'enfance Rafael Nadal sur terre battue. Peut-être. N'empêche qu'à ce rythme, il faudra bientôt sortir des comparaisons "nadalesques" pour qualifier la trace que la Polonaise est en train de laisser sur l'ocre.
Depuis le début de sa carrière, la n°1 mondiale a disputé 71 matchs sur sa surface fétiche. Elle n'en a perdu que 9 pour 62 victoires, soit un taux de succès de 87,3%, largement supérieur au bilan - déjà excellent - qu'elle présente sur les autres surfaces. A Roland-Garros, c'est encore plus fort : elle en est désormais à 93,1% de victoires (27-2), un ratio supérieur à celui de la maîtresse des lieux, Chris Evert (92,3%), la seule dans l'ère Open à avoir comme elle atteint (au moins) trois finales lors de ses cinq premières participations.
Comme Nadal, Iga Swiatek est évidemment redoutable partout. Mais sa dangerosité est décuplée dès lors que le court se pare d'orange. "Sur terre battue, j'ai vraiment l'impression d'avoir plus d'armes que sur dur", a confirmé la Polonaise dans une forme de Lapalissade. Plus forte que sur dur (et plus encore que sur gazon), cela paraît évident, même s'il ne faudrait pas oublier son sacre à l'US Open ainsi que ses titres à Indian Wells, Miami et Doha l'an dernier. Ce qui était moins évident, c'est qu'elle développe de telles aptitudes sur une surface qui n'est, finalement, pas celle sur laquelle elle a grandi.
Et pourtant, quand la tornade Iga a débarqué à Paris en 2020, l'année de son premier sacre, alors qu'elle n'était âgée que de 19 ans et seulement classée 54e mondiale, elle a tout emporté sur son passage. Avec notamment une arme redoutable, la même que celle de Rafael Nadal : un "spin" d'une rare violence, en tout cas chez les filles.
Lors de sa finale remportée en 2020 contre Sofia Kenin, son coup droit le plus lifté avait été mesuré à 3453 rotations par minute, et son coup droit le plus rapide à plus de 127 km/h. Un chiffre tout simplement digne des plus gros lifteurs et des plus gros cogneurs du circuit masculin.
"Avec ce spin en coup droit, elle brise les autres filles sur terre battue et c'est pour ça que l'on voit autant de scores aussi larges, s'enthousiasme sa compatriote Agnieszka Radwanska, n°2 mondiale en 2012. Sa balle arrive avec une puissance incroyable et les autres ne parviennent pas à la contrôler. En plus de ça, elle est très régulière, très concentrée du premier au dernier point." Ce qui est aussi l'une des clés du succès sur terre battue.
"Le coup le plus effrayant depuis le service de Serena"
"Le coup droit de Swiatek, c'est le coup le plus effrayant du tennis féminin depuis le service de Serena Williams, déclarait l'an dernier à la WTA l'ancienne championne américaine – devenue consultante télé – Pam Shriver. Et puis, c'est comme Graf à son époque ou Nadal : quand on a le coup droit pour point fort, c'est très intimidant pour l'adversaire."
Sur le plan technique, Iga Swiatek utilise en coup droit une prise ultra-fermée qui lui permet d'imprimer cette force de rotation impressionnante à la balle. Basique. Pourtant, elle n'est ni la première à utiliser cette prise, ni la plus musclée du circuit. Si elle n'a pas d'égale dans le domaine, c'est peut-être parce qu'elle a passé des heures et des heures, dans son enfance, à imiter la façon de frapper de Nadal. Alors que le circuit féminin, d'une manière générale, a plutôt érigé la puissance pure en modèle absolu. Son extraordinaire explosivité et la laxité extrême de son poignet ont fait le reste.
Tout en conférant énormément de sécurité, d'angles et de hauteur à ses frappes, sa prise de coup droit peut, en contrepartie, s'avérer plus problématique pour négocier une balle qui arrive vite. "Iga a parfois un peu plus de mal quand on la prive de temps. On l'a vu contre des joueuses qui l'agressent systématiquement, comme Rybakina ou Sabalenka, note l'ancienne (double) finaliste de Roland-Garros, Kim Clijsters. Cela me paraît être la seule tactique possible pour casser un peu son rythme. Mais sur terre battue, c'est plus compliqué…"
D'autant que la n°1 mondiale maîtrise comme aucune autre joueuse le déplacement sur terre, et spécialement la glissade, qu'elle a quasiment élevée au rang d'art. Sa compacité à la frappe, cette manière de négocier certains revers à genoux, a quelque chose de fascinant. Swiatek est une boule de muscle, de nerfs et d'acier. Elle est capable de tenir l'échange autant que nécessaire, mais jamais de manière passive : frappe après frappe, elle "punche" méthodiquement l'adversaire, jusqu'à ce que celle-ci finisse acculée dans les cordes.
Avec tout ça, voir Swiatek évoluer sur terre battue donne un peu la sensation de "regarder un lion traquer un zèbre dans la savane, poétise – toujours pour la WTA – une autre ancienne joueuse américaine devenue femme de télé, Mary Carillo. Au début, on a l'impression que le zèbre peut s'en sortir. Et puis, au bout de quelques jeux, on a compris…"
Le "pire" pour ses rivales dans tout ça ? C'est qu'Iga Swiatek a beaucoup progressé depuis son premier sacre en 2020, où elle avait abandonné le même nombre de jeux (23) pour arriver en finale. Notamment au service et particulièrement sur sa deuxième balle, longtemps considérée comme son autre "faiblesse", avec parfois un léger manque de variété. En 2023, contrairement à ces quatre dernières saisons, elle affiche (pour l'instant) un nombre d'aces supérieur à son nombre de doubles fautes, même si ce n'est pas le cas sur ce Roland-Garros.
L'intéressée, elle, en est persuadée : "J'ai l'impression d'être une bien meilleure joueuse cette année. Je me suis améliorée partout : tennistiquement, mentalement, tactiquement, physiquement et aussi en termes d'expérience." Ça fait peur, c'est sûr. Karolina Muchova est désormais la dernière joueuse à pouvoir empêcher Iga Swiatek de signer un triplé qui la placerait, à 22 ans, en très bonne place dans la légende du tournoi.