Véritable caméléon lorsqu'il s'agit de s'adapter au tennis de ses adversaires, Karolina Muchova affiche en revanche une seule et même personnalité sur le terrain et en coulisses. Si elle troque la raquette pour la guitare, la finaliste de Roland-Garros 2023 conserve sa zénitude, son flegme et son autodérision en dehors des courts.
Karolina Muchova, fidèle à elle-même
Artiste sur et en dehors des courts, la Tchèque affiche la même tranquillité dans la vie que raquette en main.
"Je n’ai pas tellement envie d’être comme tout le monde." Sur le court comme "pour tout dans la vie", Karolina Muchova n’est pas du genre à se fondre dans la masse. A l’heure où la parole est à la puissance et à la cadence sur le circuit féminin, elle a juré fidélité à la variété et à son jeu léché.
"J’ai toujours eu ça en moi, depuis mon enfance, a-t-elle assuré après son succès contre Anastasia Pavlyuchenkova en quarts. J'aime le beau jeu. Si vous regardez des vidéos de moi quand j'étais petite, vous me verrez aller au filet, jouer des amorties. J'ai toujours joué comme ça." Pas de concession chez la Tchèque, qui n’a jamais envisagé sa vie autre part qu’entre les lignes d’un court.
"Je n’ai jamais eu de plan B, avait-elle confié à WTA Insider. Je suis toujours passionnée par les choses que j’entreprends." Elle a persévéré, malgré les difficultés, l’argent qu’elle a dû emprunter et les blessures, causées par la poussée de croissance qui l’a hissée jusqu’à son 1,80m. Les déboires physiques n’ont jamais lâché cette fan de Roger Federer. "Certains médecins m’ont dit que je ne pourrais peut-être plus faire de sport", s’est-elle souvenue à l’issue de sa prouesse face à Aryna Sabalenka en demi-finales.
Artiste old-school
Mais la douleur n’a jamais eu raison de son flegme et du sourire en coin qu’elle balade d’une conférence de presse à l’autre. "Assez calme, même en dehors du tennis", la Praguoise est peu démonstrative sur le terrain, où la pression semble glisser sur elle. "Quand je perds un point, j’essaie de l’oublier et de construire le suivant dans ma tête." Le Philippe-Chatrier a eu droit à une démonstration bluffante lorsque la 43e joueuse mondiale a sauvé une balle de match contre la n°2 mondiale.
"Je ne sais même plus (ce que je ressentais). A ce moment-là, à 2-5 pour elle, je ne savais pas si j’allais m’en sortir ou pas. Je me disais juste qu’elle avait pris mon service et que je pouvais aussi la breaker." Un calme olympien affiché malgré les vertiges de l’enjeu : sa deuxième demi-finale en Grand Chelem. "Je ne sais pas si j’ai déjà joué sur une scène aussi grande, avec autant de monde, d’applaudissements, les trompettes et tout le reste. Ça m’a beaucoup aidée."
Il faut dire que Muchova a conquis les cœurs, du puriste le plus old-school au simple amateur d’amorties et de spectacle. Si elle se repose sur son service et s’appuie sur la puissance adverse avec son coup droit, la native d’Olomouc a surtout impressionné par sa faculté à anesthésier la balle. Combien de fois Sabalenka l’a-t-elle vue débarquer au filet pour cueillir ses frappes ravageuses ou casser son rythme à coup de slices profonds.
"C’est assez difficile de construire un point contre elle", a soufflé la battue du jour. "J’aime beaucoup son jeu, a enchaîné Iga Swiatek, sa future adversaire en finale. J’ai l’impression qu’elle sait tout faire. Elle joue avec une sorte de… liberté dans ses mouvements." Alors que le nouveau Big 3 – Sabalenka, Swiatek, Rybakina – qui règne sur le circuit mise, à des degrés différents, sur la puissance, Muchova semble nager à contre-courant.
Autodérision, guitare et Shakespeare
Comme si les contretemps subis l’avaient isolée du tennis moderne et qu’elle émergeait à peine de cette dimension parallèle, propulsée par son style de jeu "à l’ancienne". La protégée d’Emil Miske parle tout de même avec autodérision de la difficulté de choisir le bon coup à tenter au moment opportun : "C’est déjà difficile pour moi d’avoir l’esprit clair dans la vie, alors sur le court..."
Toutefois, à Paris, elle suit son instinct, choisit la "première option" et sort toujours la bonne carte de cette main dont les possibilités semblent infinies lorsqu’elle est prolongée d’une raquette. Avec une guitare, la Praguoise se satisfait de "quelques accords". Comme beaucoup de joueuses, elle aborde ses matchs des écouteurs vissés dans les oreilles. Mais au quotidien, la Tchèque ne se contente pas d’écouter, elle joue.
"Si tu connais cinq à sept accords, tu peux jouer n’importe quelle chanson, a-t-elle lancé en conférence de presse. J’adore en jouer. C’est l’un de mes hobbies." Dans les coulisses de "Roland", elle s’est aussi illustrée crayon en main pour dessiner un bonhomme ressemblant à son entraîneur. Visiblement, elle a besoin d’extérioriser sans arrêt ses arabesques. Elle tient aussi à ne pas bouleverser l’équilibre entre sa carrière et sa vie privée.
Elle a profité de son séjour dans la capitale pour aller admirer Notre-Dame ou Beyoncé au Stade France. Néanmoins, Muchova se verrait bien passer davantage de temps au pays. "J’ai l’impression de ne pas arrêter", confiait-elle en début de quinzaine avant d’estimer à une vingtaine de jours son temps passé à Prague cette année. Et comme elle n’est pas à un paradoxe près, ses voyages n’ont pas suffi à lui inculquer complètement la langue de Shakespeare. C'est en tout cas son avis.
Nouvelle Ash
"Désolé, mon anglais…", s’est-elle excusée en conférence de presse après avoir échoué à trouver un synonyme de "problem". Face aux journalistes, elle ne se lance pas dans des envolées lyriques mais se montre loquace quand le sujet lui plaît. "J’essaie toujours de donner des réponses différentes pour rendre les choses un peu… différentes."
Sur l’ocre de la Porte d'Auteuil, elle n’a pas à se forcer pour varier. "C’était le meilleur match du circuit féminin, a récemment commenté Mats Wilander à l’issue de la victoire de Muchova contre Sabalenka. Nous tenons une nouvelle Ash Barty. Elle se rapproche d’elle mais avec un peu plus de puissance."
Un an avant la retraite de l’Australienne, qui avait propulsé Swiatek sur le toit du circuit, la Tchèque l’avait renversée en quarts de finale de l’Open d’Australie. L’occasion de rappeler que la Praguoise n’a jamais perdu face à une membre du Top 3. Face à la tête de série n°2 de "Roland", elle a signé un cinquième succès en autant de duels face à des joueuses de ce calibre.
Depuis le début de la quinzaine, les interrogations la concernant ont évolué. Après sa victoire contre Maria Sakkari, un refrain a circulé dans les allées : comment parvient-elle si souvent à balayer les têtes de série ? Près de deux semaines plus tard, il est désormais de bon ton de se demander pourquoi elle n’est pas déjà Top 10.