Déséquilibrées sur le papier, les affiches des demi-finales rassemblent des joueuses aux qualités bien distinctes. Alors que le jeu tend à s'uniformiser, la dominante Iga Swiatek, la battante Beatriz Haddad Maia, la puissante Aryna Sabalenka et l'étonnante Karolina Muchova vont exposer toute la richesse du tennis féminin sur le court Philippe-Chatrier, ce jeudi à partir de 15h.
Un carré d'as pour différents atouts
Avec les demi-finalistes Swiatek, Haddad Maia, Muchova et Sabalenka, c'est chacune son style et le tennis s'en porte très bien.
A la fin du siècle dernier, une comète a atterri sur le circuit féminin. Serena Williams et sa puissance phénoménale ont révolutionné le sport. Pour tenter de déloger la "Queen", il s’agissait d’aller la chercher sur son propre terrain. Lorsqu’un modèle domine, difficile de ne pas s’en inspirer. Le jeu a ainsi eu tendance à s'uniformiser.
Pourtant, cette année, il n’a jamais été aussi facile de gagner au jeu des sept différences avec les quatre élues qualifiées pour le dernier carré à Paris. Le casting de cette édition 2023 a réuni des actrices avec des atouts et des identités très marqués. L’opposition de styles entre Karolina Muchova et Aryna Sabalenka saute aux yeux, mais la partie entre Beatriz Haddad Maia et Iga Swiatek promet d’exposer tout ce que le tennis a de plus beau à offrir.
La guitariste
Certaines sportives ont une âme d’artiste. C’est le cas de Karolina Muchova. La Tchèque balade avec elle l’innocence qui la conduit à adopter un style de jeu à l’ancienne, bourré de variations et d’inventivité. "Je pense que j'ai toujours eu ça en moi, depuis mon enfance, glisse-t-elle. J'aime le beau jeu, quelle que soit la discipline. Si vous regardez des vidéos de moi quand j'étais petite, vous me verrez aller au filet, jouer des amorties. J'ai toujours joué comme ça."
Inspirée par Roger Federer, elle entretient et peaufine ce tennis qui étonne et qui "fonctionne sur les gros matchs, contre les grandes joueuses". Avec elle, inutile de tenter le coup du Docteur Jekyll et Mister Hyde : la Praguoise transpose cette créativité en dehors des courts, où elle remplace le cordage de sa raquette par les cordes de sa guitare. "Je sais jouer quelques accords. Avec une guitare, si tu connais cinq à sept accords, tu peux jouer presque n’importe quelle chanson."
Si elle confesse parfois s’égarer entre toutes les options qu’elle possède sur un terrain de tennis, elle a rarement joué des fausses notes sur l’ocre parisien. "Ce qui me réjouit le plus, c'est quand j'ai un plan de jeu, que je n'en dévie pas et que ça fonctionne. Bien sûr, quand je réussis de bons slices, de bonnes amorties, ça me plaît aussi. Mais le principal, c'est de rester concentrée pour réussir à gagner le point après tous ces rallyes."
La 43e joueuse mondiale préfère abréger l’échange par un rapide coup droit long de ligne ou sur service-volée bien senti, mais à Roland-Garros, elle parvient aussi à dicter le point sur la durée, en promenant ses adversaires d’un bout à l’autre du court.
La météorite
Muchova peut adapter son plan en fonction de ses adversaires. Aryna Sabalenka, sa future opposante, a largement élargi sa palette dernièrement, mais elle n’est pas du genre à multiplier les concessions. "Sur terre battue, je pense qu’il faut essayer de varier un petit peu, a théorisé Ons Jabeur en conférence de presse. C’est peut-être ce que la plupart des joueuses tentent de faire, sauf Aryna. Elle frappe très fort."
La numéro deux mondiale aurait tort de ne pas profiter de sa puissance. Sa capacité à téléguider des météorites sur les lignes est inégalée sur le circuit. Elle a également amélioré sa mise en jeu. Cette année, seules Elena Rybakina et Caroline Garcia ont servi davantage d’aces que Sabalenka (204). Cette dernière n’est toutefois pas épargnée par les trous d’air. Elle compense donc en se montrant un peu plus patiente et ne cherche pas à finir le point au moindre coup de raquette.
La championne de l’Open d’Australie a dessiné les grandes lignes de ce tournant à la suite de sa défaite en finale du tournoi de Stuttgart face à Iga Swiatek. Déterminée à déloger la reine du circuit, elle s’est moins précipitée pour la dominer en finale du WTA 1000 de Madrid. Le tout, combiné à l’affutage de ses compétences défensives.
"C'est très important, car on ne peut pas gagner un Grand Chelem uniquement en pratiquant un tennis agressif, a-t-elle affirmé. Il faut aussi être capable de défendre et de bien bouger. Je me sens désormais suffisamment forte physiquement pour tenir les longs rallyes, défendre, courir longtemps…"
La marathonienne
En tout cas, elle n’aura pas à enseigner les vertus de la patience à Beatriz Haddad Maia. La Brésilienne a passé plus de neuf heures sur le court rien que sur ses trois dernières sorties. Trois duels à rallonge pour trois remontadas.
"J'ai beaucoup travaillé physiquement, a-t-elle souligné après son succès contre Sara Sorribes Tormo. Je crois en moi, notamment dans les moments difficiles. J'ai connu beaucoup de matchs de plus de 3 heures dans ma carrière. Donc quand le match dure, je me sens plus forte, plus solide. C'est une de mes qualités. Je suis très fière de mon physio et de mon entraîneur."
Selon Jabeur, Haddad Maia est une "bête". Elle ne panique pas et use l’adversaire avant de finir plus fort. Son mantra :"ne jamais abandonner". La tête de série n°14 court des kilomètres, contre et s’ajuste face à la tactique adverse. "J’aime sa mentalité sur le terrain, sa façon d’analyser sans arrêt", observe Gabriela Sabatini.
La légende argentine a d'ailleurs donné des conseils à sa voisine sud-américaine. "Elle a un bon physique, elle est grande et gauchère, avec un bon service. Quand je l’ai vue, je lui ai dit : ‘ Tu devrais venir plus souvent au filet’ car elle a le jeu pour y finir les points." La Paulista (27 ans) n’a pas le tempérament le plus offensif du circuit. Elle possède une balle lourde, liftée à souhait, peut varier les angles et le rythme au fil du match, mais elle conserve une marge de sécurité au-dessus du câble et ne chatouille pas trop les lignes.
"Je pense que le tennis, ce n’est pas un 100 mètres. Mais plutôt un marathon", résume-t-elle.
Et la sprinteuse
Au regard du volume horaire passé sur la terre battue parisienne, Iga Swiatek, elle, rappelle davantage Usain Bolt qu’Eliud Kipchoge. Tennistiquement parlant, elle est capable d’aller chercher n’importe quelle balle, façon Haddad Maia, et pressurise sans relâche ses proies, à l’instar de Sabalenka.
Dès les premiers coups, la Polonaise cherche à étouffer l’adversaire. Sa deuxième frappe de balle et ses relances sont tranchantes. Depuis le fond du court, elle commande, en coup droit comme en revers. Particulièrement fermée, sa prise de raquette lui permet d’imprimer un énorme lift pour repousser ses vis-à-vis.
Et si, par miracle, la joueuse qu’elle affronte parvient à résister, voire à accélérer, la double lauréate de Roland-Garros est prête à visiter chaque recoin d'ocre pour contre-attaquer et reprendre la main sur l’échange.
"Beaucoup de variété"
Bref, il y en aura pour tous les palais ce jeudi à Paris. "C'est vrai que le tennis féminin était traditionnellement considéré comme un tennis agressif, a rappelé Jabeur. Des joueuses comme (Maria) Sharapova, Serena et Venus (Williams) étaient très puissantes. [...] Mais en fait, il y a beaucoup de variété aujourd'hui. Malheureusement, Ash (Barty) a pris sa retraite, c'était une joueuse qui avait un tennis très varié. Iga a un jeu agressif, mais elle met un peu plus d'effet dans sa balle que Sabalenka. Rybakina est plus agressive. Il y a beaucoup de variété et je trouve intéressant de voir tous ces changements dans le Top 10 ou le Top 20."