Ce dimanche, une nouvelle page de l’histoire du tennis a été écrite sous le toit fermé du plus grand court du monde. Devant les yeux de dizaines de milliers de chanceux spectateurs – parmi lesquels de nombreuses stars comme Matthew McConaughey, présent dans la box du champion –, Novak Djokovic est devenu le vainqueur le plus âgé de l’US Open (36 ans), égalant par la même occasion le record de 24 titres du Grand Chelem détenu jusqu’ici par la seule Margaret Court. Et à en croire son entraîneur, il reste de l’encre dans le stylo du champion.
US Open J14 : Djokovic, un 24e joyau à sa couronne
Vainqueur de Daniil Medvedev en finale de l’US Open, le nouveau numéro un mondial a remporté son 24e titre du Grand Chelem, le 4e à New York.
Un départ canon
Au moment de poser en compagnie d’Andy Roddick pour la traditionnelle photo d’avant-match, Novak Djokovic et Daniil Medvedev pensaient-il encore à leur précédent affrontement à Flushing Meadows ? "La dernière fois que j’étais ici, j’ai perdu en finale contre le même joueur que j’ai battu aujourd’hui, a expliqué le champion. Durant les 48 heures qui ont précédé ce nouveau rendez-vous, j’ai fait de mon mieux pour ne pas accorder d’importance à l’événement, à ce que ça représentait. Il y a deux ans, c’est ce qui était arrivé et j’avais sous-performé, je n’avais pas donné le meilleur de moi-même. Donc j’ai appris la leçon. Mon équipe et ma famille savaient qu’il ne fallait pas me parler de ça. J’ai fait tout ce que je pouvais pour garder ma routine habituelle et prendre ce match comme n’importe quel autre en essayant de le gagner."
Difficile de donner tort au triple vainqueur de l’épreuve au vu du niveau de jeu affiché par les deux hommes dès les premières frappes de balle. Deux échanges de 19 et 23 coups, un revers gagnant et deux aces : le patron a donné le ton. En face, malgré des tentacules très rapidement déployées, son opposant s’est montré moins précis (12 fautes directes dans la première manche) et a été davantage bousculé sur son engagement (33% de points gagnés derrière sa deuxième balle). Loin de refuser le combat, il n’a toutefois pas eu la moindre opportunité d’effacer le break concédé d’entrée. Après 48 minutes de jeu, il s’est retrouvé dans la position du chasseur et par la même occasion, au pied d’une montagne, le Serbe n’ayant perdu qu’une seule fois à l’US Open après avoir gagné le premier set, en 73 rencontres…
Medvedev a perdu un set qu’il aurait dû gagner
En contrôle et sûr de sa force, il a gardé la main en début de deuxième manche. A l’abri sur son engagement grâce à trois jeux blancs consécutifs, il a continué de mettre la pression en retour. Malgré une excellente résistance en fond de court, le vainqueur de l’édition 2021 semblait toujours faire le mauvais choix. Ou plutôt, son adversaire parvenait à lire en lui comme dans un livre ouvert lorsqu’il prenait l’initiative ou frappait un passing censé être gagnant contre 99% des joueurs du circuit. Mais à partir de 3-3 et ce jusqu’au tie-break, Daniil le marathonien a enfin allié l’efficacité à sa légendaire ténacité.
Petit à petit, la bataille s’est durcie, faisant inexorablement basculer cette finale dans une autre dimension. Durant six jeux irrespirables, les deux protagonistes ont multiplié les échanges à rallonge, inscrivant tour à tour des points grandioses. Les mains sur les genoux, le favori de la foule peinait à retrouver sa respiration, s’écroulant même au sol d’épuisement après un nouveau rallye de 31 coups. Moins précis, ses premières doubles fautes de la rencontre et ses amorties parfaitement contrées l’ont tendu. Plus grand et plus fort, le challenger du jour s’est enfin procuré une balle de break à 4-3 en sa faveur.
Mais comme souvent, dans les moments importants, le "Djoker" a sorti un atout de sa manche pour se maintenir à flot et ainsi transformer le Arthur Ashe en véritable volcan en éruption. Plutôt que de jouer long de ligne, Medvedev a préféré l’option passing de revers croisé sur une balle de set à 6-5. Maintenu dans le set grâce à ce mauvais choix que son vis-à-vis regrettera certainement longtemps, Djoko a de nouveau fait étalage de sa science tactique pour exceller dans son exercice favori, le tie-break.
"C’est dommage de ne pas avoir gagné le deuxième set parce que j’avais l’impression d’être au-dessus de lui, de le dominer d’une certaine manière. J’aurais dû faire mieux" a-t-il expliqué après la rencontre. Un sentiment confirmé par Goran Ivanisevic, présent en conférence de presse. "C’est incroyable que Novak ait gagné ce set, il ne paraissait pas en forme, a-t-il analysé. Mais il a joué des coups incroyables, il est monté au filet et il a parfaitement lu Daniil sur la balle de set […] S’il avait perdu le tie-break, le match aurait été complètement différent. Mais une fois qu’il l’a gagné, la seule question était de savoir en combien de temps il allait prendre la troisième manche."
Une fin de deuxième manche au goût d’estocade finale donc, le n°3 mondial ne s’étant jamais vraiment remis de cette occasion manquée. S’il a enfin réussi à prendre le service adverse, il ne s’agissait malheureusement pour lui que d’un débreak, immédiatement effacé dans le jeu suivant. Lancé à pleine vitesse vers la gloire, Novak Djokovic n’a plus laissé le moindre espoir, s’imposant finalement en 3h16 (6/3, 7/6(5), 6/3).
Les stats’ du jour : Djokovic, le tacticien réinventé
Si son anticipation hors-pair et sa capacité à élever son niveau de jeu sur les points cruciaux n’ont plus de secret pour personne, il est nécessaire d’insister sur le fait que Novak Djokovic s’est réinventé à l’occasion de sa 36e finale en 72 tournois du Grand Chelem (soit 50%, le calcul est aisé et le résultat, énorme). Contre un rival toujours plus loin de sa ligne de fond de court, il a multiplié les services-volées avec une efficacité indécente (20/22) et a littéralement pris d’assaut le filet en inscrivant 37 points sur 44 montées au total (soit 84% de réussite, le calcul était plus difficile). Une masterclass tactique de plus qui a valu un échange savoureux entre Gilles Cervara et son joueur. Mais ce dernier n’a jamais changé de position en retour malgré les supplications de son entraîneur.
Family Affair
En 2021, Novak Djokovic s’était laissé envahir par l’émotion, évacuant l’énorme pression liée à sa quête du Grand Chelem calendaire, réduite à néant par un excellent Daniil Medvedev. Deux ans plus tard, à genoux et la tête posée sur le sol du court Arthur Ashe, ce sont bien des larmes de joie et de soulagement qui perlaient sur le visage du joueur le plus titré de l’histoire en Majeur. Une consécration qu’il a tout de suite voulu partager avec ses proches et sa famille, tous vêtus de la veste Lacoste "24", fabriquée pour l’occasion. "Je ne pensais pas à une célébration ou quoi que ce soit d’autre, a-t-il confié en salle de presse, le trophée en bonne place à proximité de son micro. Je voulais juste gagner le match et serrer dans mes bras ma fille, puis mon fils, ma femme, mes parents et mon équipe".
Sa fille, qui n’était pas dans sa box pour des raisons logistiques dont il s’est amusé à l’issue de la rencontre, a été la première à pouvoir lui tomber dans les bras. Mais plus que ça, elle a eu un rôle très positif sur le comportement et la mentalité de son père pendant la rencontre. "Après la rencontre, j’ai tout de suite voulu faire un câlin à ma fille, parce qu’elle était assise au premier rang […] Dès que je suis entré sur le court, je l’ai vue, elle était en face de mon banc et elle me souriait. A chaque fois que j’ai eu besoin de cette sorte d’énergie innocente d’enfant, elle me l’a donnée. Quand j’étais stressé, en particulier dans le deuxième set ou quand j’avais besoin d’un coup de pouce, de force ou de légèreté, son sourire me boostait […] Quand je suis devenu père, c’était un de mes souhaits, je voulais gagner un Grand Chelem devant mes enfants et qu’ils réalisent ce qui était en train de se passer, qu’ils comprennent. Je suis très reconnaissant que ça ait été le cas cette année, devant eux, à Roland-Garros et ici même."
Durant la cérémonie, Novak Djokovic a également tenu à rendre hommage au basketteur Kobe Bryant, disparu dans un tragique accident d’hélicoptère le 26 janvier 2020. "Kobe était un ami proche, a-t-il confié, ému. Nous avons beaucoup parlé de ce qu’est la mentalité d’un champion lorsque je luttais contre les blessures et que j’essayais d’effectuer mon retour au plus haut niveau. Il était l’une des personnes sur lesquelles je comptais le plus. Il était toujours là pour me conseiller, m’aider et me soutenir de la manière la plus amicale qui soit. Alors bien sûr, son accident est survenu il y a plusieurs années mais son décès et celui de sa fille m’ont profondément blessé. Le 24 était le numéro de son maillot lorsqu’il est devenu une légende des Lakers et du basket mondial donc j’ai pensé que c’était un beau symbole de lui rendre hommage maintenant, pour tout ce qu’il a fait."
24, et ce n’est pas fini…
Ce 4e "Petit Chelem" en carrière (après ceux de 2011, 2015 et 2021) est un nouvel accomplissement grandiose dans la carrière de celui qui entame ce lundi une 390e semaine sur le toit du monde. Le trophée à peine soulevé, une interrogation était déjà sur toutes les lèvres : où va-t-il s'arrêter ? S’il est bien évidemment trop tôt pour y répondre, force est de constater que le Serbe n’a aucun rival à sa hauteur, si ce n’est Carlos Alcaraz, qui l’a d’ailleurs privé d’un 8e sacre à Wimbledon. D’un point de vue personnel, s’il aime répéter qu’à 36 ans, l’avenir est plus que jamais incertain, sa motivation et son envie sont intactes. "Je ne me fixe pas un chiffre précis en tête, je ne sais pas combien de tournois du Grand Chelem je veux remporter dans ma carrière, a-t-il admis. Je vais continuer d’en faire ma priorité parce que ce sont les tournois les plus importants. Ça ne va pas changer l’année prochaine et je ne sais pas combien de saisons j’ai encore dans les jambes. Donc on verra."
Également questionné sur la possibilité que "Nole" arrête sa carrière lorsqu’il sera en possession de 25 titres du Grand Chelem et donc seul au monde, Goran Ivanisevic n’a pas vraiment botté en touche. "Il profite, il adore les challenges. Vous me posez la question pour 25 mais s’il le fait, il va se dire ‘J’en ai 25, pourquoi pas 26 ?’ Il en veut toujours plus […] C’est à lui qu’il faut poser la question mais je ne pense pas. Non, il planifie déjà de jouer les Jeux Olympiques de Los Angeles (rires). C’est en 2028, c’est ça ?" a-t-il ironisé. Ou pas ?