J12 : la carte postale

Anecdote, tranche de vie, moment fort... Chaque jour, Roland-Garros vous envoie sa carte postale.

 - Roland-Garros

Cher public,

Petit moment d'émotion pour moi ce jeudi en revoyant un très vieil ami dont tu as peut-être déjà entendu parler : un certain John McEnroe, qui a disputé son premier match du Trophée des Légendes by Emirates aux côtés de Jo-Wilfried Tsonga. Sur le court Suzanne-Lenglen, les deux hommes se sont imposés face à Mats Wilander, une autre de mes légendes, et un tout jeune retraité nommé Gilles Simon.

John, je le revois régulièrement mais cela m'a fait cette fois un pincement particulier. Il y a 40 ans presque jour pour jour – c'était le dimanche 10 juin 1984 -, il disputait et perdait face à Ivan Lendl une finale mythique, dont tu m'as souvent dit qu'elle est celle qui t'as le plus marqué dans toute l'histoire du tournoi. Moi, tu sais, mes finales, c'est un peu comme mes enfants : je peux difficilement les hiérarchiser. Mais celle-là, c'est vrai qu'elle occupe quand même une place très spéciale dans mon cœur.

Je me souviens comme si c'était hier de ce 10 juin 84, cette opposition de styles à couteaux tirés, sur fond d'une rivalité quasiment politique. John qui survole les deux premiers sets en pratiquant un tennis sublime, avant d'entamer sa lente érosion face à un Lendl admirable de bravoure, et qui finit par triompher au bout du 5e set pour conquérir son premier titre du Grand Chelem. Aujourd'hui encore, je revois Big Mac prostré dans mes vestiaires, la tête enfouie sous une serviette, inconsolable. Un drame en cinq actes, une véritable tragédie : l'Américain ne gagnera jamais ici.

McEnroe et moi, une si longue histoire

Entre lui et moi, c'est une longue histoire mais qui a toujours été un peu compliquée. C'est moi qui lui ai donné sa première wild-card en Grand Chelem en 1977, alors qu'il n'avait que 18 ans et que personne ne le connaissait. Cette année-là, il avait d'ailleurs gagné chez les juniors. Bref, on s'est longtemps tourné autour. Et en 1984, après des années de malentendus, on était à deux doigts de "conclure". Mais au final, ça n'a pas fonctionné entre nous. Et je crois qu'il m'en veut toujours encore un peu aujourd'hui.

J'aurais aimé, pourtant. Mais je suis sûrement un peu complexe, moi aussi. D'un côté, j'ai toujours été attiré par les grands attaquants et j'ai toujours voulu m'entendre avec eux. Et de l'autre, consciemment ou non, j'ai éconduit les plus grands. McEnroe, donc, mais aussi Becker, Edberg, Sampras et d'autres : je les ai tous laissés à ma porte.

McEnroe, le génie malpoli

Bon, il faut avouer aussi que "Big Mac" ne s'est pas toujours bien comporté avec moi. À l'époque, il avait même le comportement d'un bad boy, jurant sur le court, balançant ses raquettes, insultant les arbitres, méprisant les officiels et pestant à la moindre mouche qui volait. Un enfer… Et à côté de ça, un talent sublime, inclassable, hors normes, qui a marqué profondément toute une génération de fans aujourd'hui (au moins) quinquagénaires. Comment en vouloir à ce génie ultime, qui ne supportait ni l'à-peu-près, ni la médiocrité ? Au fond, je crois qu'il était incompris. Un hypersensible incompris.

Je sais qu'aujourd'hui encore, à chaque fois qu'il revient ici, John pense à ce match. Il en a même des nausées, paraît-il. Moi aussi, j'y pense encore. J'ai vu ce jeudi des réminiscences de son génie en l'admirant distiller des caresses comme à ses plus beaux jours, même si bien sûr, à 65 ans, le corps est moins fringant. J'ai vu en revanche un McEnroe beaucoup plus calme, posé, jamais énervé. Je pense même avoir décelé, à un moment donné, une lueur de nostalgie dans son regard. Oui, je suis sûr qu'il y pense encore. Moi aussi.

John McEnroe during the final at Roland-Garros 1984©FFT