Duels au couteau, retournements de situation, personnalités atypiques, épisodes méconnus : au cours de cette édition 2022, le site officiel du tournoi vous propose de revisiter quelques moments mythiques de l’histoire de Roland-Garros. Épisode 4 : quand un visiteur inattendu pousse les joueurs à s’interrompre.
Il était une fois… Et soudain, ils s’arrêtèrent…
Épisode 4 : quand un visiteur inattendu pousse les joueurs à s’interrompre.
Il arrive que des événements dans les tribunes viennent perturber ou, pourquoi pas, influer sur le cours d’un match : un spectateur malade, un problème technique, un streaker (ces personnes dénudées qui se précipitent sur l’aire de jeu, comme on l’a vu à Wimbledon). L’arrivée en tribunes d’une personnalité majeure peut aussi provoquer des remous dans les travées. Dans un passé relativement récent, l’irruption dans "la corbeille" de l’ancien président des États-Unis, Bill Clinton, pendant le quart de finale 2001 entre Andre Agassi et Sébastien Grosjean, demeure l’un des plus beaux exemples de ces moments où une agitation certaine venue des travées interfère dans le jeu.
Cochet et Borotra lâchent leurs raquettes
On n’a en revanche jamais revu un épisode tel que celui vécu par les joueurs et les spectateurs sur le Central de Roland-Garros, non pendant le tournoi, mais durant la finale de la Coupe Davis France - États-Unis de 1929. Il est unique et le restera. Henri Cochet et Jean Borotra affrontent la paire américaine Allison / Van Ryn. Quand soudain, le navigateur Alain Gerbault fait son entrée. La suite, belle comme une scène de cinéma, est racontée par l’ancien joueur Pierre Albarran dans son Histoire du tennis : "Quand il pénétra dans la tribune, le président de la Fédération, Pierre Gillou, le prit par la main et s’avança avec lui au premier rang pour le désigner à l’attention du public, qui le reconnut immédiatement. Et, fait unique, la partie s’arrêta net ; à la barbe des Américains Allison et Van Ryn interloqués, Cochet et Borotra, lâchant leurs raquettes, quittèrent le court pour se précipiter vers lui ; comme on pouvait s’y attendre, Borotra fut le plus vite arrivé, au prix d’un bond fantastique et d’un rétablissement par lequel il se hissa d’un seul coup par-dessus la balustrade, cependant que tout le stade, débout, entonnait la Marseillaise".
Entre terre et mer
Mais pourquoi un tel hommage ? La veille, Gerbault a touché terre au Havre après son invraisemblable tour du monde en solo… de cinq ans, le tout premier pour un navigateur français. L’événement est considérable. Et la première chose que choisit de faire l’aventurier, une fois la légion d’honneur accrochée à son veston, est de se précipiter à Roland-Garros. Car l’homme de mer est aussi un homme de terre… battue.
Dans le tourbillon d’une vie passée sur les océans, Alain Gerbault a trouvé le temps et l’énergie d’être un bon joueur de première série. Ses résultats peuvent paraître toutefois bien dérisoires eu égard à ses aventures maritimes : s’il est finaliste à Monte-Carlo en 1922, il n’a gagné qu’un match à Roland-Garros en deux participations, entre 1931 et 1932. Le marin à la renommée internationale est devenu un intime des Mousquetaires du tennis français et de Suzanne Lenglen. Alors dès que Gerbault arrive sur le Central, ce 27 juillet 1929, et que l’arbitre de chaise lui-même, Nicolas Redelsperger, annonce son entrée – imaginerait-on une telle scène aujourd’hui ? –, Cochet et Borotra, malgré l’importance du match, arrêtent tout afin d’aller étreindre leur ami. D'après la revue Tennis et Golf, tout le monde y aurait aussi vu une occasion inespérée de faire diversion : les Français sont en effet à ce moment précis largement menés. Mais la ruse ne marche pas : Cochet et Borotra s’inclinent en trois sets. C’est une défaite toutefois sans conséquence. Le lendemain, l’équipe de France remporte le Saladier d’Argent pour la troisième fois de suite. Gerbault et ses copains peuvent faire la fête.