A peine avait-elle posé le pied à Roland-Garros qu'Iga Swiatek y avait affolé les compteurs. En 2020, pour sa deuxième participation, elle était devenue la joueuse la plus mal classée (54e) à triompher à Paris, le tout à l'âge de 19 ans et sans perdre le moindre set. La tornade polonaise avait débarqué avec son jeu assez révolutionnaire dans le tennis féminin, notamment ce coup droit au spin redoutable, "flashé" à plus de 3 400 rotations/minute, un chiffre équivalent à celui des plus gros lifteurs masculins.
Iga Swiatek : les 5 points clés de son mystérieux coup droit
A quelques jours de Wimbledon, Marion Bartoli nous aide à procéder à un décryptage technique détaillé du coup droit d'Iga Swiatek.
Trois ans (et trois coupes Suzanne-Lenglen) plus tard, la n°1 mondiale continue de causer de gros dégâts avec ce coup bien propre à elle, que la plupart de ses adversaires n'ont pas encore pleinement réussi à apprivoiser. Mais quel est donc le secret de cette arme mystérieuse qui s'avère redoutable sur terre battue mais peut aussi se retourner contre elle sur les surfaces les plus rapides ?
Marion Bartoli – qui a pu l'observer de près à Roland-Garros en tant qu’intervieweuse de terrain et consultante pour Prime Video – dresse une analyse des principales caractéristiques techniques de ce coup.
1 - Une prise extrême
Impossible de parler du coup droit d'Iga Swiatek sans commencer par ça : sa prise ultra-fermée, "western" comme on dit aussi. "Elle est complètement sous le grip, c'est une prise totalement extrême qui implique une manière très particulière d'arriver vers la balle, attaque Marion Bartoli. Elle arrive avec une raquette horizontale ‘par en-dessous’, avec la paume de la main qui regarde vers le ciel et non pas vers le sol, comme la plupart des joueurs. C'est rarissime. Même les hommes capables d'imprimer énormément de spin à leur coup droit – Alcaraz, Ruud ou Nadal – ne jouent pas comme ça. Ça me rappelle plutôt les Espagnols des années 90, les Berasategui, Bruguera, etc… De mémoire, je n'ai jamais joué contre une fille avec une prise aussi extrême. Jamais."
Et pour cause, une telle prise nécessite tellement de force et de tonicité musculaire au niveau du poignet qu'elle est en général plutôt réservée aux hommes. Iga, qui a peut-être hérité de la génétique de son père – ancien rameur olympique –, est l'une des rares joueuses à y parvenir. Sans doute aussi au prix "d'un gros travail d'entretien et de renforcement physique, sans quoi elle se casserait le poignet, estime Bartoli. Comme sa raquette est face au sol, ramener un plan de frappe face au filet au moment de l’impact nécessite une rotation du poignet extrêmement rapide et beaucoup d'amplitude. C'est ce qui va permettre de donner ce spin violent à la balle. Mais pour cela, il faut une force du poignet qu’aucune autre joueuse ne possède et une flexibilité hors du commun."
2 - Une préparation bien à elle
Observons la manière dont Iga arme sa préparation de coup droit, le tamis face à son visage, comme s'il s'agissait d'un miroir dans lequel elle souhaite s'observer. "Ça aussi, c'est très propre à elle, fait remarquer la championne de Wimbledon 2013. C'est le moyen le plus simple et le plus sûr de bien positionner sa prise extrême. Si elle armait sur le côté, comme le font la plupart des autres joueuses et joueurs, elle risquerait, avec le stress, de se retrouver avec une prise plus neutre. Là, elle n'a plus qu'à tirer sa raquette pour que celle-ci se retrouve en bonne position."
Sur la photo suivante, on voit que juste avant le déclenchement de sa frappe, la Polonaise a le tamis complètement orienté vers le sol, ce qui est aussi un corollaire à sa fameuse prise.
Et c'est aussi le moment où les choses se compliquent. "C'est là où il va falloir générer beaucoup de vitesse pour ramener rapidement la raquette de manière à ce que le plan de frappe soit parallèle au filet, comme tout le monde. Le risque, si l'on ne va pas assez vite, c'est de ne pas bien centrer la balle, ou pire, de la frapper avec la tranche."
3 - Une frappe bras fléchi et tout en "spin"
La frappe de coup droit bras totalement tendu mise à la mode notamment par Roger Federer et Rafael Nadal et imitée depuis par Carlos Alcaraz ? Très peu pour Iga. Encore et toujours une histoire de prise. "Elle ne peut pas avoir le bras tendu car elle ne pourrait alors pas générer la vitesse de poignet et l'effet nécessaires avec cette prise", nous éclaire l'ancienne 7e joueuse mondiale.
Selon cette dernière, c'est d'ailleurs un peu la limite de ce coup, notamment sur les surfaces plus rapides et principalement sur gazon : "En termes de vitesse pure, un coup droit joué bras tendu est plus efficace. Swiatek a plus de mal à inscrire des points directement gagnants. Mais comme elle est tout de même capable d’accélérer, elle se sert de son coup droit différemment. Elle l’utilise pour repousser l'adversaire, l'empêcher de venir coller au rebond avec son spin et trouver des angles pour ensuite s'ouvrir le terrain et finir le point avec son revers, qui est son meilleur coup. C'est pour cela qu'elle est si efficace sur terre battue ! Non seulement la terre lui donne plus de temps pour mettre en place sa frappe mais en plus, elle prend davantage le lift."
Seulement sur gazon, Iga se retrouve plus souvent privée de ce temps nécessaire. Ce que confirment ses résultats : elle n'a pour l'instant jamais remporté de titre sur herbe, tandis qu'un huitième de finale en 2021 reste son meilleur résultat à Wimbledon. La Polonaise va donc devoir procéder aux ajustements nécessaires pour corriger le tir.
4 - Une fin de geste à la Rafa… ou à la Iga !
Quand on regarde les photos de fin de geste de coup droit d'Iga Swiatek, il n'y a pas de demi-mesure : elle finit soit très haut, soit très bas ! Et devinez quoi ? C'est encore et toujours lié à sa prise.
"Très souvent, elle termine son geste du même côté, au-dessus la tête, dans un lasso à la Rafa", explique encore l'ancienne n°1 française. Peut-être par mimétisme de son idole d'enfance. Sans doute aussi pour accentuer le spin. Et puis souvent, par nécessité. "Encore une fois, Iga a besoin de temps. Donc pour qu'elle puisse finir son geste côté opposé, il faut que la balle adverse soit lente et qu'elle puisse pleinement s'engager. Sinon, c'est beaucoup plus facile pour elle de finir là-haut. Quand le point de contact se fait avec un peu de retard, remonter très vite permet de rattraper ce retard et d'avoir un minimum de traversée de la balle. Quand on est en retard et que l'on essaie malgré tout de finir devant, on risque de perdre le contrôle."
Même quand Swiatek dispose du temps nécessaire pour traverser la balle au maximum et conclure son geste de manière plus conventionnelle côté opposé, elle finit rarement pour ne pas dire jamais la raquette en "écharpe", comme on dit dans les écoles de tennis, mais plutôt au niveau du coude.
"Sur cette photo, c'est le plus haut qu'elle puisse finir, observe Marion Bartoli. Chez la plupart des autres protagonistes, la fin de geste se fait au niveau du deltoïde, voire au-dessus de l'épaule. Iga, elle, ne peut pas car il y a une contrainte articulaire due à sa prise et à son poignet qui finit à l'inverse d'une fin de geste classique. Si elle termine aussi haut, elle a le coude qui monte au niveau du visage et elle ne voit plus la balle."
Alors, Iga finit à la Iga : tout en bas. C'est l'une des signatures de son coup droit.
5 - Une forte impulsion à chaque frappe
C'est le dernier maillon de la chaîne cinétique que l'on vient de remonter. Du fait de sa prise, de la position de son poignet à la frappe puis de sa fin de geste très particulière, la n°1 mondiale, forte aussi de son explosivité au-dessus de la moyenne, se caractérise par ses frappes particulièrement bondissantes.
"Comme elle ne peut pas finir aussi haut que les autres et comme en plus, sur terre battue, les rebonds sont plus hauts, elle va compenser par une forte poussée des jambes à la frappe, décrit par ailleurs celle qui a atteint les demi-finales de Roland-Garros en 2011. Sur quasiment toutes les photos de son coup droit, on voit qu'elle saute énormément. Et si elle n'a pas pu prendre une impulsion suffisamment forte au niveau des jambes, c'est là aussi où elle va finir son geste plutôt en haut, à la Rafa."
Ultime conséquence : quand Iga Swiatek dégaine son coup droit, cela donne des images souvent spectaculaires. Un cauchemar pour les défenses adverses, peut-être. Mais un régal pour les photographes.
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