A lire aussi
"O Guga"
MAJ le 11/10/21. Hommage à Budge Patty, vainqueur de Roland-Garros en 1950, décédé le 3 octobre 2021.
Paris était sa maison, au propre – il possédait un appartement en bord de Seine – comme au figuré : entre 1947 et 1958, il y a gagné pas moins de 20 tournois internationaux, et parmi eux, Roland-Garros, en 1950.
Champion d’une élégance folle, sur le court comme en dehors, le natif de l’Arkansas est décédé le 3 octobre dernier à Lausanne, à l’âge de 97 ans.
Il y a quelques années, il était revenu, en français dans le texte, sur sa relation avec Paris, ses souvenirs de victoire en 1950 et le tennis, à commencer par le sien.
Aujourd’hui, ces mots d’une légende résonnent particulièrement.
"En 1945, j’étais à Paris en tant que soldat dans la 5e armée. J’ai passé en tout 22 mois en Europe : 20 mois de campagne d’Italie entre fin 1943 et 1945, et puis deux mois en France ensuite. J’ai connu le Paris de la Libération. Je suis rentré aux Etats-Unis en janvier 1946… pour mieux me dépêcher de revenir cinq mois plus tard ! A 18 ans, je voulais être sérieux, faire des études – j’allais d’ailleurs faire ma rentrée à l’université lorsque j’ai reçu mon ordre de mobilisation. Mais après la guerre, ce n’était plus possible d’avoir cette envie-là. Je voulais profiter de la vie, et jouer au tennis m’en offrait la possibilité. Je suis donc revenu en Europe en juin 1946, cette fois pour devenir joueur de tennis. Les premiers temps, il fallait se débrouiller. Rien ne se perdait : sur mes premiers tournois, dont Roland-Garros, j’utilisais encore mes shorts de l’armée !"
"J’ai tout de suite adoré Paris et, la guerre passée, j’avais décidé d’y vivre comme un touriste : je sortais le soir, je fumais, je buvais… Je profitais des charmes de Paris. Et après je me lamentais devant mon manque d’endurance dans les cinquièmes sets (rires) ! Mais ce furent de bien belles années. J’ai même fini par m’acheter un appartement le long de la Seine, quai Louis-Blériot, en 1954. J’avais une vue imprenable sur la statue de la Liberté du pont de Grenelle, la Tour Eiffel et même, dans l’angle de la terrasse, le Sacré-Cœur au loin."
"Dès mes 13 ans et mon premier tournoi de jeunes gagné à Los Angeles, j’ai dit à mes parents que je voulais devenir joueur de tennis. D’un sens, j’étais un meilleur joueur jeune plutôt qu’adulte. Jusqu’à mes 15 ans, je n’ai pas perdu un set dans mes différentes compétitions nationales disputées aux Etats-Unis. J’avais alors une rigueur et un sérieux que je n’ai pas eu les premières années après la guerre. J’avais perdu deux ans de ma vie à cause de la guerre et, comme tous les jeunes de ma génération, j’avais trop de choses à rattraper pour me dédier corps et âme au tennis. Entre mes années en tant que soldat et les suivantes où j’ai voulu rattraper le temps perdu, il m’a fallu du temps pour pouvoir me focaliser à nouveau autant sur le tennis qu’à l’adolescence."
"Fin 1949 tout de même, j’ai décidé de me consacrer pleinement au tennis. Fini de boire, fini de fumer et fini de sortir trop tard le soir… Et chaque matin, je faisais mes cinq kilomètres de footing du côté du bois de Boulogne. Quand est arrivé le Roland-Garros de 1950, je savais que je pouvais jouer cinq sets, et cinq heures s’il le fallait – il ne faut pas oublier qu’à l’époque l’effort était plus dur physiquement : on ne s’asseyait pas une minute trente tous les deux jeux ! Quand vous changiez de côté et que vous aviez le malheur de s’appuyer sur la chaise de l’arbitre le temps d’avaler une gorgée d’eau, l’arbitre vous réprimandait. Alors de savoir que j’étais prêt à disputer des matchs longs, cela changeait tout. Avant, quand je gagnais un set sur le fil, il m’arrivait de laisser filer le suivant pour récupérer et je perdais ainsi tout de suite le bénéfice du set difficilement gagné. Là, je savais pouvoir me livrer sans compter. Et j’ai tout gagné. En finale de Roland-Garros, quand Jaroslav Drobny est revenu de deux sets à rien à deux sets partout, je n’ai jamais paniqué : je savais que je serais fort à la fin. Et j’ai gagné 7/5 au cinquième."
"Je me souviens d’un autre match amusant, en quarts contre Irvin Dorfman, un Américain peu connu mais un bon serveur-volleyeur, comme moi. Il me pousse au cinquième set. Je mène 10-9 quand on change de côté. Et là, en le croisant, je sors mon peigne de ma poche pour me recoiffer de façon bien visible. Il en a perdu tous ses moyens : quatre fautes plus tard, il me donnait le match ! Il m’a dit : ‘‘Tu m’as achevé : j’étais épuisé et toi tu pensais encore à te recoiffer !’"
Avec l'Australien Mervyn Rose à Roland-Garros 1955.
"Quand j’ai gagné Roland-Garros, je n’ai pas reçu le moindre prix du tout. Et à Wimbledon juste après, ils m’ont offert un bon de 5 livres sterling – et encore, uniquement valable sur des équipements de tennis (rires) ! Mais c’était comme ça, à l’époque. Il y avait moins d’enjeux et ça en rendait le tennis plus amusant – le jeu, et les joueurs, aussi ! En 1953, j’ai perdu un match épique, encore un, contre Drobny à Wimbledon (12-10 au 5e, non sans avoir eu six balles de match, ndlr) : ça lui a coûté tellement d’énergie qu’il a fini son match suivant à l’hôpital. Et comme nous étions de bons rivaux, des adversaires qui nous appréciions humainement, je lui ai téléphoné pour lui dire que pendant qu’il se morfondait tout seul dans sa chambre, moi je sortais tous les soirs, en pleine forme (rires) !"
"La vraie révolution du jeu a eu lieu quand sont apparues les raquettes composites (soit la deuxième moitié des années 1980, ndlr). Plus légères, elles ont tout changé en permettant d’avoir plus de force de frappe, en particulier côté revers. Avec les raquettes en bois, on ne pouvait guère frapper son revers que coupé. Lew Hoad a été le premier à avoir la force suffisante pour lifter son revers. Mais Hoad était spécial. Au moment où j’ai arrêté ma carrière, en 1960, il était toujours le seul à en être capable. Les raquettes composites ont tout changé dans les années 1980, par le contrôle qu’elles ont apporté. Elles ont favorisé le jeu en puissance, facilité les passing-shots et donc mis le service-volée en difficulté."
"Dès l’échauffement, selon la qualité du revers coupé de mon adversaire, je savais si j’allais avoir un match facile ou difficile."
"Je n’ai jamais été du genre nerveux, même pour les grandes finales. Je sentais la tension monter dans le quart d’heure précédant le match, elle durait le temps des trois, quatre premiers jeux, et c’était fini. Une fois dans le match, ça passait."
"J’ai mis longtemps à vouloir disputer la Coupe Davis, car à l’époque la compétition se jouait en Challenge-round. Or le pays tenant du titre était l’Australie. Jouer la Coupe Davis revenait donc à se rendre en Australie, soit trois jours d’avion ou six semaines de bateau… et, sur place, remplir différentes obligations d’exhibitions aux quatre coins du pays pour répondre aux sollicitations auxquelles notre statut de challengers nous contraignaient. Tout ça ne me disait rien donc j’ai mis du temps à rêver de la Coupe Davis… Et puis il faut dire qu’il y avait une forte concurrence aux Etats-Unis à l’époque, d’autant que moi j’étais finalement plus connu en Europe, là où je vivais et où je gagnais mes tournois, que dans mon propre pays. Mais en 1949, mes compatriotes sont parvenus à gagner en Australie. Là j’ai décidé de tout faire pour être sélectionné à la maison en 1950. Et j’ai gagné Roland-Garros et Wimbledon à la suite. Mais je me suis blessé quelques semaines avant la finale de Coupe Davis, lors d’un tournoi à Newport : il avait plu, le gazon était humide et j’ai glissé en frappant un smash. Je suis tombé et me suis froissé les ligaments du pied. Le plus dur est peut-être que personne ne m’a aidé. A l’époque, il n’y avait pas tous ces arbitres, juges de lignes et autres ramasseurs au bord du terrain… Et puis, comme je disais, je n’étais pas le préféré de mes compatriotes… J’ai donc dû me débrouiller seul pour trouver de la glace à appliquer sur mon pied. Et j’ai dû déclarer forfait pour la finale. Et je n’ai jamais joué en Coupe Davis. C’est comme ça. C’est une vieille histoire, maintenant."
"Si je ne devais garder qu’un seul match dans toute ma vie, ce serait quand je suis devenu champion des Etats-Unis des 18 ans. J’étais tête de série n°4 du tournoi. En quarts, je joue ce gars, Garner Larned. Il était plus grand que moi, serveur-volleyeur "classy", beau garçon, pantalon blanc immaculé, le genre à attirer le regard de toutes les filles et à agacer tous les garçons… Il mène 6/0 3-0, je suis totalement dominé. 40-30 sur mon service, j’ai enfin une balle de jeu. Et là, je ne sais pas pourquoi, mais je fais un service à la cuillère (il mime le geste, espiègle). Mal exécuté, le service à la cuillère est un coup ridicule. Mais s’il est bien fait, court derrière le filet et en cherchant la ligne extérieure, il devient très embêtant pour l’adversaire. Ce coup d’enfant donc, je le touche parfaitement : il tombe pile dans le coin, sur la ligne, par-fait. Mon adversaire se jette vers l’avant pour tenter de redresser la balle avec son revers, mais il est en retard et, en plus, il trébuche et s’étale de tout son long. Quand il se relève, son beau pantalon blanc est maculé de terre, et lui est furieux, mais furieux… au point qu’il est sorti du match. Il n’a plus touché une balle et j’ai gagné en trois sets. Je n’oublierai jamais ce match, uniquement pour cette scène précise. Après le match, il a jeté sa raquette dans le lac voisin. Il n’a jamais fait carrière dans le tennis après ça, je crois (rires)."
Spectateur attentif à Roland-Garros 2016 (en haut à gauche). On reconnaît aussi sur la photo Adriano Panatta, Manolo Santana et Nicola Pietrangeli, tous vainqueurs à Roland-Garros.