Comment se lancer dans la rédaction du résumé exhaustif de la carrière de l’un des plus grands joueurs de tennis de tous les temps ? Par où commencer ? Pour faire court et efficace, une phrase suffit pour illustrer ce qu’il représente aux yeux de ses millions de fans : Rafael Nadal était un roi. Devenu professionnel en 2001, il a soulevé son premier trophée en 2004, sa première Coupe des Mousquetaires en 2005, entrant alors dans le Top 10 pour les 912 semaines suivantes. L’histoire était en marche.
Rafael Nadal : l’ultime révérence du roi
Mardi dernier, Rafael Nadal a mis un terme à vingt-trois ans d’une carrière exceptionnelle, extraordinaire, inoubliable.
Il était le roi… de la terre et plus encore !
Si Roland-Garros était son royaume – nous nous étendrons davantage sur le sujet plus tard dans la semaine – la terre battue était son terrain de jeu favori. 484 victoires (dont 112 à Roland-Garros) sur sa surface de prédilection pour seulement 51 défaites : avec plus de 90% de succès, Rafael Nadal est le plus grand joueur de l’histoire sur ocre. Mais s’il a régné sans partage sur la terre, il a aussi scintillé sur les autres revêtements. C’est certainement en 2008 qu’il a d’ailleurs prouvé qu’il avait l’étoffe des géants en faisant tomber Roger Federer en finale, dans son jardin à lui !
En soulevant son premier trophée à Wimbledon (après avoir remporté Roland-Garros à quatre reprises et consécutivement depuis 2005), au terme d’un match exceptionnel de 4h48, souvent décrit comme l’un des plus beaux de l’histoire, il a posé les bases de son futur empire. "Tu m’as challengé comme personne n’a su le faire" a récemment confessé son rival dans une longue lettre adressée à son ami. En plus d’asseoir sa légitimité, sa nouvelle romance londonienne lui a aussi permis de se faire une place au sommet du tennis mondial, une position qu’il est le seul à avoir occupée sur trois décennies. Humble, doué, mais surtout particulièrement précoce, il est ensuite devenu le plus jeune joueur de l’ère Open à cumuler les quatre titres du Grand Chelem. Il est également le seul à avoir remporté des tournois de cette catégorie lors de quinze saisons différentes. Et si ses records vous passionnent, la liste de ceux qu’il détient en carrière sont particulièrement impressionnants.
Il était le roi… de la superstition
Difficile de passer à côté. Rafael Nadal, c’était aussi des tocs et des superstitions en pagaille devenus au fil du temps l’une de ses marques de fabrique : son bandana précisément et assidument noué autour de la tête, ses bouteilles parfaitement alignées au sol, et sa routine au service (cheveux rigoureusement replacés derrière les oreilles à deux reprises, un coup de raquette sur les chaussures pour enlever la terre restée collée, le front essuyé de gauche à droite avec son bracelet éponge, un short jamais positionné correctement qu’il faut réajuster à chaque fois...). Autant de gestes et d’habitudes qui ont fait de lui l’un des joueurs les plus perfectionnistes de la planète. Des superstitions qui l’ont également aidé à être comme transcendé une fois entré sur son terrain de jeu. "Je ne reconnais pas mon fils quand il joue, avait expliqué sa mère. Il est habité. Mais c’est toujours Rafael. Dans la vie, c’est un bon petit."
Autre geste, qui n’entre peut-être pas dans la case superstition mais qui s’est mué en signature : le fait de mordre chaque trophée remporté. Enfin, puisqu’il est tant attaché aux symboles, Rafael Nadal a bouclé la boucle de sa carrière en Coupe Davis, là où tout avait commencé. "J'ai perdu mon premier match de Coupe Davis et je perds mon dernier" a-t-il souri après son match perdu contre Botic Van de Zandschulp.
Il était le roi… de la persévérance
Si certains étaient plus gracieux et d’autres plus chirurgicaux dans leurs échanges, "Rafa" aura marqué le tennis (et le sport en général) par sa force, son abnégation et sa détermination. Une rage de vaincre caractéristique qui a fait de lui un joueur avide de se battre sur chaque échange, comme si c’était le dernier. "Je joue chaque point comme si ma vie en dépendait" avait-t-il d’ailleurs confirmé. Dominé ou pas, favori ou non, il a abordé chacune de ses rencontres de la même manière.
Meurtri par de nombreuses blessures, il a manqué onze Majeurs au cours de sa carrière mais a toujours fait preuve de ténacité pour revenir au plus haut niveau et gagner de nouveau, même lorsque son pied le faisait terriblement souffrir. Victime du syndrome de Müller-Weiss (pathologie rare qui empêche l’irrigation normale d’un os situé dans le squelette du pied), il a toujours joué avec des douleurs récurrentes. En 2021, lorsqu’il a mis un terme à sa saison en postant une photo de lui en béquilles, tout le monde s’est demandé si l’homme qui résistait à tout allait se relever de cette nouvelle épreuve. Et la réponse n’a pas tardé… À Melbourne, en janvier 2022, il a décroché son deuxième titre australien après avoir remonté deux sets et un break de retard en finale contre Daniil Medvedev. Insubmersible. Il n’a jamais abandonné, n’a jamais rien lâché. C’est aussi ce qui fait de lui l’un des plus grands joueurs de l’histoire. Quelques mois plus tard, c’est avec le pied anesthésié qu’il a remporté son quatorzième titre à Roland-Garros. Une preuve supplémentaire de son acharnement à ne viser que la perfection.
Il était le roi… du "Vamos" !
Un modèle pour toutes les générations. Un mot d’encouragement désormais prononcé le poing levé par des dizaines de joueurs, qu’ils soient espagnols ou non d’ailleurs. Son état d’esprit de champion a toujours été un modèle du genre, souvent copié, jamais égalé. Souriant, un poil timide, il a su garder toute son humilité, ses valeurs familiales et n’a jamais oublié ses racines, alors que l’arrogance de celui qui fait tomber les records les uns après les autres lui tendait les bras. "Je veux qu’on se souvienne de moi comme d’une bonne personne, issue d’un petit village de Majorque. Juste un enfant qui a poursuivi ses rêves" a-t-il déclaré lors de l’hommage qui lui a été rendu à Malaga, après l’élimination de l’Espagne en quarts de finale de la Coupe Davis. Admiré, il a été l’idole de tout un circuit. Exemplaire sur le court, il n’a par exemple jamais cassé la moindre raquette dans un élan de frustration. "Je pars en paix, en sachant que j’ai tout donné, a-t-il encore ajouté. J’ai commencé à m’entraîner et à jouer à l’âge de 7 ans. Même si j’ai débuté à trois, c’est vers cet âge-là que j’ai décidé de m’y dévouer avec passion, amour et la détermination d’exceller. Je quitte le circuit avec le calme et la satisfaction personnelle d’avoir tout donné à chaque instant." Existe-t-il une phrase plus nadalienne que celle-là pour décrire le personnage ?
Il était le roi… en dehors des courts
S’il tient à ce qu’on se souvienne de lui comme d’un "simple enfant de Manacor", Rafael Nadal a toujours mis sa notoriété au service de ceux qui en avaient besoin. En 2016, il a ouvert dans sa ville natale sa première académie (Rafa Nadal Academy). En 2018, c’est encore sur son île qu’il s’est muni d’un balai-brosse pour aider les habitants à évacuer la boue lorsque les rues en étaient inondées. Fondateur de la Rafa Nadal Foundation, il a tout mis en œuvre pour donner une chance aux enfants défavorisés de s’épanouir par le sport. S’il est très attaché à ses racines, il l’est encore davantage à la cause humanitaire. En 2020, il a organisé un événement caritatif aux côtés de Roger Federer en Australie pour récolter 250 000 dollars et aider la population à la reconstruction après les feux de forêts qui ont ravagé le sud du pays.
Il était le roi… de la révérence
Le 19 novembre dernier, le roi a finalement mis un terme définitif à son règne, à l’issue d’une dernière danse perdue contre Botic Van de Zandschulp. Comme à son habitude, il n’a pas abdiqué alors qu’il était mené, a crié des "Vamos !" en direction du public et de son clan et redisposé ses bouteilles dans un ordre dont lui seul a le secret. L’enfant de Manacor a réalisé son rêve. Il nous tarde à présent de découvrir la grandeur de son héritage.