Le duel tant attendu a tourné à la démonstration de force. Impérial et dominateur dans tous les compartiments du jeu, Carlos Alcaraz n’a (presque) pas tremblé face à Novak Djokovic pour s’adjuger son quatrième titre majeur en autant de finales disputées (6/2, 6/2, 7/6(4) en 2h27). Ou comment d’ores et déjà inscrire son nom en très bonne place dans les livres d’histoire.
Wimbledon – J14 : Alcaraz, le bijou et la couronne
Auteur d’une masterclass en finale, le Murcien de 21 ans a conservé son titre, remportant ainsi son 2e Grand Chelem consécutif, le 4e de sa carrière.
Indétrônable
Non, cette fois, le public du Centre Court n’a pas eu droit à son thriller en cinq sets. Il y a cru, après un jeu inaugural de 14 minutes et lorsque le bras du prodige a tremblé et que trois balles de match se sont envolées, comme prises dans les phares d’un bolide jusqu’ici ronronnant mais qui ne demandait qu’à accélérer pour passer la quatrième. Des miracles et des retournements de situation invraisemblables, l’homme aux 24 titres du Grand Chelem en a d’ailleurs connu pléthore au cours de son immense carrière. Mais ce dimanche, il a dû se résoudre à accepter l’éclatante vérité du terrain : son rêve d’égaler le record de Roger Federer (8 sacres au All England Club) a viré au cauchemar.
Il faut dire que Carlos Alcaraz n’était pas enclin à faire durer le suspense. En mode diesel sur son engagement lors de sa demie face à Daniil Medvedev et breaké à 19 reprises durant son parcours jusqu’en finale, il ne pouvait pas se permettre une telle introduction face au meilleur relanceur du monde. Alors il s’est particulièrement appliqué, ne laissant quasiment aucune ouverture à son adversaire (une seule balle de break concédée et 4 points perdus derrière sa première lors des deux premiers sets). Impuissant sur sa ligne de fond face à l’impact et la précision d’orfèvre de son jeune concurrent, le Serbe a bien tenté de raccourcir les échanges en prenant le filet mais il s’est presque systématiquement fait transpercer par un passing venu d’ailleurs.
Surtout, il a été pressurisé comme rarement sur sa propre mise en jeu, concédant un double break dans chacune des deux premières manches pour se retrouver mené (6/2, 6/2) après seulement 1h15 de match ! "Novak n'a pas joué à son meilleur niveau durant les deux premiers sets, il a commis beaucoup d'erreurs, a modestement confirmé le champion. J'ai su en tirer parti."
Qu’il s’agisse des chiffres ou de l’impression générale sur le terrain, tous les feux étaient au vert pour le Murcien, proche de la perfection et d’un doublé historique (nous y reviendrons). Encore fallait-il parvenir à maintenir la cadence et ce pourcentage de réussite face à un joueur historiquement plus fort lorsqu’il se retrouve au bord de la panne moteur. En sauvant quatre nouvelles opportunités en début de troisième set, "Nole" a d’ailleurs exulté pour la première fois de la partie, n’hésitant pas non plus à exhorter les spectateurs de le soutenir. Les prémices d’un come-back grandiose ?
Pas vraiment, car s’il était enfin plus consistant – au point de faire jeu égal par séquences –, il ne se montrait pas suffisamment incisif au retour, ne profitant pas, par exemple, d’une première baisse de régime de son vis-à-vis à 3-2. A l’inverse, "Carlitos" ne s’est pas fait prier pour sortir quatre coups gagnants sur l’engagement adverse dont un énième passing croisé pour glaner son cinquième break de la rencontre (5-4) et s’offrir la possibilité de servir pour le gain du tournoi.
C’est à ce moment que ce sommet à sens unique aurait pu basculer dans la folie. A 40-0, une double faute, un très gros retour adverse et surtout une balle reprise de volée accompagnée d’un cri en tribune et envoyée hors des limites ont semé le doute. Pouvait-il complètement craquer et redonner espoir à un "Djoker" qui s’avouait pourtant vaincu ?
Non, pour la simple et bonne raison qu’au-delà de ses coups droits fulgurants, sa vitesse d’exécution, ses amorties léchées et ses volées déposées (42 coups gagnants pour 24 fautes directes au total), Carlos Alcaraz est un formidable guerrier dont le sang-froid, l’abnégation et la détermination ne sont plus à prouver.
Comme lors de son exploit de l’an passé, celui qui cette fois-ci arborait fièrement la casquette de favori a conclu son chef d’œuvre au jeu décisif. A la différence près que ce tie-break a mis un point final à la prestation d’un soliste au sommet de son art. "Félicitations à Carlos, il a mérité sa victoire aujourd’hui, a concédé avec classe le vaincu du jour. J’ai essayé de me battre dans le troisième set et de revenir mais je pense qu’il était inévitable qu’il gagne aujourd’hui parce qu’il est entré sur le court avec une qualité de tennis bien supérieure. C’est aussi simple que ça. L'année dernière, j'ai perdu au terme d’un match épique en cinq sets où nous avions tous les deux tout donné. Cette année, il n'en a rien été. Tout s'est joué sur lui. Il a été la force dominante sur le court."
Une incroyable précocité
Le prince devenu roi ici-même en 2023 a donc bel et bien confisqué les clés du château. Et tout porte à croire qu’il ne les rendra pas de sitôt. Plus jeune joueur de l’histoire au sommet de la hiérarchie (en 2022, à l’issue de son premier sacre à l’US Open) et à avoir gagné trois tournois du Grand Chelem sur trois surfaces différentes, le protégé de Juan-Carlos Ferrero a de nouveau allongé la liste de ses formidables accomplissements. Ce dimanche, il est devenu le 6e joueur de l’ère Open à réussir le doublé Roland-Garros – Wimbledon la même saison, rejoignant ainsi Björn Borg, Rafael Nadal, Roger Federer, Novak Djokovic et Rod Laver, présent dans la Royal Box pour assister à cette consécration. "Penser au fait que je suis vainqueur de Roland-Garros et de Wimbledon la même année, c’est une sensation formidable car peu de joueurs ont réussi ça par le passé. J’essaie de réaliser que j’ai gagné deux fois Wimbledon…" Et il n’est que le 9e à conserver ce prestigieux titre.
Il est aussi le 2e dans l’ère Open à avoir remporté ses quatre premières finales de Grand Chelem (après Roger Federer et son fameux 7/7) et le 2e Espagnol de l’histoire à être multiple vainqueur au All England Club, après Rafael Nadal. Un Big 3 légendaire dont les membres ne comptaient pas autant de Majeurs à 21 ans…
Des chiffres qui donnent le tournis même s’il refuse pour l’instant de s’y intéresser. "Bien sûr, j’ai vu la statistique selon laquelle je suis le plus jeune à gagner Roland-Garros et Wimbledon la même année, a-t-il poursuivi. Mais honnêtement, j’essaie de ne pas trop y penser. C'est évidemment un excellent début de carrière, mais je dois continuer à avancer et à construire mon propre chemin. À la fin de ma carrière, je veux pouvoir m'asseoir à la même table que les grands. C'est mon objectif principal et mon rêve à l’heure actuelle. J’ai déjà gagné quatre tournois du Grand Chelem à 21 ans mais ça n’aura pas d’importance si je ne continue pas. Je veux terminer ma carrière avec un grand nombre de victoires."
Au vu de ce qu’il a déjà réalisé au cours de sa jeune carrière, difficile de penser que des plafonds de verre pourront lui résister. "Je ne sais pas quelle est ma limite et je ne veux pas y penser. Je veux juste continuer de rêver et profiter de mon moment. On verra si à la fin de ma carrière je serai à 25, 30, 15 ou 4. On verra ce que l’avenir me réserve" a-t-il conclu.
On ne va pas se mentir, peu sont ceux à miser sur quatre. En attendant la dernière levée de la saison à New York, Alcaraz a rendez-vous Porte d’Auteuil pour disputer les Jeux Olympiques, en simple et en double en compagnie de "Rafa". Il y croisera peut-être de nouveau Novak Djokovic, qui a certes perdu sa 37e finale de Grand Chelem mais dont l’appétit n’a pas diminué. "J'espère avoir la chance de me battre pour une médaille, pour mon pays, a-t-il confié. On verra comment je me sentirai physiquement et mentalement. J'espère jouer mon meilleur tennis car j’en aurais besoin pour aller en finale des Jeux Olympiques […] Je n'ai pas de limites dans mon esprit. Je veux continuer à jouer aussi longtemps que je me sentirai capable d’évoluer à ce haut niveau."
Les rendez-vous sont pris.