"C’est définitivement le plus beau jour de ma carrière et le plus beau jour de ma vie." Trois ans après son incroyable sacre à Roland-Garros, Barbora Krejcikova a brillamment succédé à sa compatriote Marketa Vondrousova au All England Club, en prenant le meilleur sur Jasmine Paolini (6/2, 2/6, 6/4 en 1h56). Une consécration aussi merveilleuse qu’inattendue à l’issue d’une finale quelque peu décousue, durant laquelle les deux joueuses ont tardé à évoluer ensemble à leur meilleur niveau.
Wimbledon – J13 : Krejcikova, son plus beau combat
Au terme d’une finale à rebondissements, la Tchèque a remporté son deuxième tournoi du Grand Chelem en simple, le premier à Wimbledon.
Forcer le destin
Qu’il s’agisse de ses derniers mois (voire de ses dernières années) ou de sa quinzaine, rien n’a été simple pour la deuxième joueuse la moins bien classée (32e mondiale, tête de série n°31) à soulever le Venus Rosewater Dish depuis l’élaboration du classement WTA en 1975. Victime d’une blessure au coude très handicapante en 2022 et plus récemment de maladies et de douleurs dorsales qui l’ont notamment privée de compétition entre février et avril 2024, elle n’avait remporté que sept rencontres avant de poser les pieds à Londres, dont quatre lors de son très beau parcours à l’Open d’Australie (éliminée en quarts de finale par la future championne Aryna Sabalenka).
En manque de confiance et de sensation, elle est même passée tout près d’une élimination très précoce face à Veronika Kudermetova (7/6(4) 6/7(1) 7/5). "Je crois que personne n’y croit vraiment, a-t-elle souri lors de son discours. Même moi j’ai dû mal à y croire ! Avoir réussi à rallier la finale et gagner Wimbledon… Je n’ai pas fait un bon début de saison, je n’étais pas vraiment en forme en arrivant ici et j’ai eu un premier match extrêmement difficile de 3h15… Et maintenant je suis là devant vous avec ce trophée ! Je suis championne de Wimbledon…"
Tombeuse de la grande favorite de cette édition dans le dernier carré, elle croisait la route ce samedi d’une adversaire à la trajectoire complètement opposée, sur un petit nuage depuis son titre à Dubaï et sa finale Porte d’Auteuil. Première joueuse à atteindre la dernière marche à Roland-Garros et à Wimbledon lors de la même saison depuis Serena Williams en 2016 et première Italienne de l’histoire à jouer le titre sur le Centre Court, Jasmine Paolini avait naturellement la faveur des pronostics. Restait à savoir si sa vivacité et son jeu porté vers l’avant parviendraient à fissurer le mur adverse.
Une finale à l’image de son parcours
Seulement voilà, les fondations de la Tchèque sont très solides et elle l’a pleinement prouvé dans une première manche dominée de la tête et des épaules. Impériale au service (90% de premières, 84% de points gagnés derrière celles-ci et quatre petits points perdus), elle a rendu impossible toute mise en place tactique et toute projection en attaquant et en contrant, bien aidée également par la précision de ses frappes, notamment en coup droit (10 coups gagnants pour 8 fautes directes). Largement suffisant pour engranger un double break et prendre les commandes de manière autoritaire.
Inoffensive et quelque peu perdue sur le terrain, Paolini s’est ressourcée aux vestiaires et a montré un tout autre visage dans le deuxième set. "J’ai très mal commencé mais je me suis dit ‘Prends ton temps, détends-toi et reviens plus forte dans le deuxième set’, a-t-elle confirmé en conférence de presse. Je devais essayer de pousser davantage parce que je contrôlais un peu trop, tout en ratant beaucoup de frappes (10 fautes directes, 19 points gagnés dans le 1er set, ndlr)." Enfin conquérante, elle a réussi un premier break d’entrée en imprimant son rythme pour la première fois de la partie. Une intensité nouvelle que Krejcikova n’est pas parvenue à gérer, comme le prouvent ses statistiques en berne, aussi bien à l’engagement (63% de premières et 53% de points gagnés) que dans l’échange (4 coups gagnants, 14 fautes directes).
Difficile alors de prédire l’issue de ce sommet après deux manches très similaires dans leur contenu et diamétralement opposées au niveau du score. Constatant que la stratégie consistant à sortir du court pour revenir avec de meilleures intentions avait fonctionné à merveille pour l’Italienne, "BK" a décidé d’en faire de même. Et ça a marché ! Enfin sur la même longueur d’onde – du moins au service – les protagonistes ont engrangé quatre jeux blancs sur six disputés pour se retrouver à 3-3. Le moment choisi par la future championne pour en mettre un peu plus et pousser son adversaire à commettre une double faute fatale synonyme de break. Mais encore fallait-il, quelques minutes plus tard, ne pas trembler pour conclure…
Le dernier jeu a d’ailleurs été un parfait résumé de cette rencontre. Calme et clinique pour mener 30-0, Krejcikova a commis une double et deux énormes fautes pour offrir une première balle de débreak à Paolini, courageuse et volontaire pour s’en procurer une deuxième sur un enchaînement passing de revers / coup droit gagnant à montrer dans les écoles de tennis. Un dernier moment de tension à rallonge (16 points) durant lequel les deux joueuses ont alterné le bon et le moins bon, sauvant donc à tour de rôle des balles de break et des balles de match.
Alors que tout pouvait encore basculer dans la folie, la joueuse titrée Porte d’Auteuil en 2021 ne s’est pas désunie et a tiré un dernier service gagnant sur sa troisième opportunité pour enfin soulever les bras et regarder vers le ciel, comme pour saluer son ancienne mentor Jana Novotna, sacrée ici-même en 1998 et qui comptait sur son élève pour prendre le relais. "Je pense qu'elle serait fière et très heureuse que mon nom soit accolé au sien au palmarès de ce tournoi car Wimbledon a été très spécial pour elle […] Nous avons commencé à collaborer ensemble au début de l’année 2014 jusqu’à son décès (en 2017, ndlr). Je ne me rappelle plus exactement ce qu’il y avait dans ma lettre quand je l’ai contactée, mais j'avais écrit que je jouais au tennis, que j'avais 18 ans, que je venais de terminer en juniors et que je ne savais pas quoi faire maintenant. Je lui demandais si, par exemple, elle pouvait me regarder et peut-être m'aider, me guider, me dire dans quelle direction aller."
La suite s’annonce radieuse
Aussi cruelle soit-elle, cette deuxième défaite consécutive aux portes du bonheur ne doit pas faire oublier l’incroyable progression et les magnifiques récents parcours de Jasmine Paolini, qui n’avait jamais franchi le deuxième tour d’un Majeur avant cette saison 2024. "A l’heure où on se parle, c’est difficile et je pense que je ne réalise pas encore : je viens de jouer la finale de Wimbledon, c’est quelque chose d’extraordinaire. Bien sûr, je suis un peu déçue mais ça a été une année incroyable. J’en profite et j’espère que je réussirai à garder ce niveau de tennis et cette concentration en continuant à travailler. Je dois apprécier ce genre de résultats même si aujourd’hui c’est difficile. Je suis déçue mais ce n’est pas grave" a-t-elle souri devant les médias. Ce lundi, celle qui a d’ores et déjà marqué l’histoire sportive de son pays pointera au 5e rang mondial, au 3e à la Race.
De son côté, la première joueuse tchèque de l’ère Open à avoir remporter deux Majeurs différents en simple peinait à réaliser la portée de son exploit. Déjà titrée sept fois en double dames (dont deux à Wimbledon en 2018 et 2022) et trois fois en double mixte, elle n’imagine pas que cet accomplissement changera quoi que ce soit à sa mentalité et son comportement. "C’est fou ! Je suis très heureuse d’avoir gagné et d’avoir pu soulever ce trophée, a-t-elle confié. C’est un sentiment incroyable […] Mais je vais rester la même ! Enfin je veux dire, c’est formidable d’être double championne en simple en Grand Chelem, c’est incroyable. Mais d’un autre côté, je suis toujours la même personne. J’aime toujours autant le tennis, je veux continuer à bien jouer et à me battre pour d’autres tournois."
Un deuxième sacre au talent, au mérite et au courage qui laisse présager un futur radieux à celle qui réintègrera le Top 10 dans deux jours et qui semble être au sommet de son art. "Je pense que j’ai joué mon meilleur tennis parce qu’aujourd’hui, ça a vraiment été difficile, j’ai dû puiser loin, dans le jeu mais aussi mentalement. Je suis extrêmement fière d'avoir pu le faire, de m'être accrochée et d'avoir remporté la finale" a-t-elle conclu. Des qualités qui seront de nouveau mises à contribution dans 15 jours sur la terre qui l’a révélée aux yeux du grand public. En simple bien sûr mais aussi double, épreuve dans laquelle elle tentera de conserver son titre olympique en compagnie de sa partenaire historique, Katerina Siniakova.