Carlos III, la majestueuse conquête de l'ocre

À l'issue d'une finale extrêmement indécise dans laquelle il a été (comme en demies) mené deux sets à un, Carlos Alcaraz a renversé Alexander Zverev pour conquérir, à 21 ans, son premier Roland-Garros.

Carlos Alcaraz, finale, Roland-Garros 2024 ©Corinne Dubreuil / FFT
 - Rémi Bourrieres

Il y a plusieurs manières d'entrer dans la légende et Carlos Alcaraz, décidément, ne fait jamais les choses à moitié. Mené deux sets à un par Alexander Zverev dans une finale extrêmement indécise, il a de nouveau fait étalage de sa résistance physique et de sa bravoure morale pour renverser la situation et s'imposer en cinq sets 6/3, 2/6, 5/7, 6/1, 6/2 en 4h19, ce dimanche.

Vainqueur de l'US Open en 2022 et de Wimbledon en 2023, l'Espagnol poursuit son sans-faute dans les finales du Grand Chelem. À 21 ans et un mois, il est le plus jeune joueur de l'ère Open à avoir conquis trois titres majeurs différents, a fortiori sur trois surfaces différentes. Il est par ailleurs le premier joueur de l'ère Open à gagner Roland-Garros en remportant la demi-finale puis la finale en cinq sets. Toujours plus fort, toujours plus grand.

Ce Roland-Garros s'annonçait comme le plus ouvert depuis 20 ans. Il a débouché sur la finale la plus difficile à lire depuis 20 ans, la deuxième en cinq sets dans l'intervalle après celle entre Novak Djokovic et Stefanos Tsitsipas en 2021. Une finale qui a longtemps hésité à choisir son camp, au gré des hauts et des bas émotionnels de ses deux acteurs. Une situation plus que compréhensible puisque la finale de Roland-Garros ne s'était plus jouée entre "primo-accédants" depuis 2005 et le premier titre de Rafael Nadal face à Mariano Puerta.

Tantôt génial, tantôt erratique

Pourtant, contrairement à sa demi-finale, l'Espagnol a attaqué pied au plancher, avec un break d'entrée qu'il a rendu aussitôt, mais qui ne l'a pas empêché de dominer ce premier set. C'est ensuite, en revanche, qu'il est retombé dans un niveau de jeu plus sinusoïdal, tantôt génial, tantôt erratique. Une baisse de régime à mettre en balance aussi, bien entendu, avec la montée en puissance parallèle du diesel allemand, soudainement beaucoup plus performant sur les deux coups "baromètre" de son jeu, le service et le coup droit.

Zverev, qui déroulait désormais sur sa mise en jeu, mettait davantage d'impact et ne commettait plus la moindre erreur. Il remporta ainsi le deuxième set sans avoir à sauver la moindre balle de break. Et c'est au moment où on le sentait proche de prendre le dessus qu'il se fit breaker, au cœur d'une troisième manche où il encaissa huit points d'affilée, pour se retrouver mené 5-2. Mais il en avait vu d'autres dans ce Roland-Garros ! Sans paniquer, il aligna à son tour cinq jeux consécutifs pour empocher la mise, au terme d'un sprint final échevelé.

Le numéro 4 mondial virait donc en tête dans cette finale, mais il était palpable que celle-ci n'avait pas encore levé tous ses mystères. Profitant d'un petit relâchement adverse, autant physique que mental, Alcaraz réenclencha le turbo dès l'entame du quatrième set, qu'il survola cette fois sans frayeur, si ce n'est un petit massage à la cuisse demandé lors d'un changement de côté à 4-1. Préventif, sans doute. Et efficace.

Allongé sur la terre, façon Nadal

Car dans le cinquième set, Alcaraz redevint totalement Alcaraz. Il retrouva toute sa fureur de vaincre et de jouer, cette fois sans rechuter, face à un Zverev qui piquait progressivement du nez, sans doute éreinté par ses (près de) 24h passées sur le court depuis le début de la quinzaine.

Après avoir breaké dès le troisième jeu, l'Espagnol eut un ultime moment très chaud à gérer sous la forme de quatre balles de débreak à écarter. Un dernier nid-de-poule avant de s'engager sur l'autoroute du titre. Il doubla la mise à 4-2, au prix notamment d'un point exceptionnel, un petit passing de revers croisé glissé (à une main) en bout de course qui fit chavirer le Central. La machine à donner du bonheur et délivrer des hot shots était lancée. Elle filait désormais à grandes enjambées vers sa légende.

D'une ultime accélération de coup droit, "Carlitos" scella sa victoire dans le jeu suivant. Au terme d'une finale marathon, pas si loin de la plus longue jamais disputée à Paris (4h42 par Wilander et Vilas en 1982), il tomba à la renverse et s'allongea de tout son long sur la terre battue de Roland-Garros, dans une célébration très nadalienne. Nadal, dont il est plus que jamais l'héritier aux yeux de tous. L'héritier, plus globalement, du tennis espagnol, qui maintient sa griffe sur le tournoi parisien : Alcaraz en est le huitième vainqueur ibérique, après Santana, Gimeno, Bruguera, Moya, Costa, Ferrero (son coach) et évidemment "Rafa".

C'est cruel, bien sûr, pour Alexander Zverev, qui perd sa deuxième finale du Grand Chelem en cinq sets comme il avait perdu la première, à l'US Open 2020, contre Dominic Thiem. Mais c'était, sans doute, le sens de l'histoire. Que Carlos Alcaraz soit sacré un jour à Roland-Garros, le tournoi dont il "rêve depuis tout petit", avait quelque chose d'une évidente destinée. Que Björn Borg, l'ancien petit prince de la Porte d'Auteuil, lui remette la Coupe des Mousquetaires avait quelque chose d'un magnifique symbole. Sa victoire lui permettra lundi d'être numéro deux mondial, derrière Jannik Sinner. La jeunesse triomphante aura décidément tout emporté au cours de cette édition 2024, qu'on n'est pas près d'oublier.