Depuis quelques jours, la question est sur toutes les lèvres : qui est le favori pour Roland-Garros 2024 ? Il paraît presque incongru de se la poser quand on a dans le tableau le plus grand joueur de l’histoire du tournoi, Rafael Nadal, et l’homme le plus titré de tous les temps en Grand Chelem, Novak Djokovic, qui ont phagocyté à eux deux 17 des 19 dernières éditions. Seuls Roger Federer et Stan Wawrinka ayant réussi à s’engouffrer dans l’interstice.
Roland-Garros 2024 : Paris cherche son favori
Ce Roland-Garros 2024 s’annonce, chez les hommes, comme le plus ouvert et le plus indécis depuis 20 ans.
Un "Roland" à la croisée des chemins
Mais ce Roland-Garros surgit dans un contexte particulier. Quasiment une croisée des chemins, où les deux monstres sacrés ne donnent pas - ou plus - leurs garanties habituelles, tandis que leurs héritiers désignés, Jannik Sinner et Carlos Alcaraz, connaissent quelques soucis physiques. Derrière, ils sont une ribambelle d’outsiders, plus ou moins cotés, que nous serions bien incapables de hiérarchiser. Signe notable de l’incertitude du moment : les trois Masters 1000 du printemps sur terre battue ont généré six finalistes différents.
Bref, on a beau tourner le problème dans tous les sens, le casse-tête reste entier et on a l’impression que plus l’échéance approche, moins on a de réponses. À vrai dire, ce Roland-Garros paraît le plus ouvert depuis 20 ans et la dernière édition avant l’ère Nadal, celle de 2004, soldée par une finale dingue entre Gaston Gaudio et Guillermo Coria. Faut-il s’attendre à un tel vent de folie cette année ?
Les favoris naturels
À tout seigneurs, tout honneur. On l’a dit, tant que Novak Djokovic et Rafael Nadal sont dans un tableau, impossible de ne pas les mettre parmi les favoris, surtout à Roland-Garros. Pour Nadal, évidemment, c’est particulier. Le maître des lieux, à bientôt 38 ans, ne parvient plus depuis des mois à retrouver la caisse physique qui a fait sa légende, et ses résultats s'en sont ressentis lors de son récent retour de blessure, pourtant sur sa terre battue chérie, à Barcelone.
Le Majorquin, malgré tout, a tout fait pour se remettre en forme et pouvoir disputer son possible (probable ?) dernier Roland-Garros. Il a réussi la première partie de son pari : il est là et bien là, et il a confirmé samedi, en conférence de presse, avoir retrouvé une partie de ses sensations, au moins physiques. On sait que quel que soit son état de forme, son charisme et son aura ici pèsent d’un poids gigantesque.
Maintenant, il y a un gros "hic" : son manque de confiance, l'incertitude concernant son autonomie actuelle et, bien sûr, l’identité de son premier adversaire, Alexander Zverev, 4e mondial. L’homme qui l’a fait vaciller il y a deux ans en demi-finales arrive en pleine forme après son récent titre à Rome.
Au cours de la décennie écoulée, les rares fois où Nadal a "failli" à Paris, Novak Djokovic était là pour colmater la brèche. Rien ne dit que ce ne sera pas encore le cas cette année. Après tout, le Serbe arrive avec le double statut de n°1 mondial et de tenant du titre. Sur le papier, tout semble donc aller plutôt bien.
Sauf que Djokovic, à 37 ans, a donné des signes de lassitude physique et mentale au cours d’un début de saison très en-deçà de son statut. Un déficit de repères qu'il a tenté de gommer avec une participation en "last minute" cette semaine à Genève, où il a glané deux victoires bonnes à prendre avant de rechuter, patraque, contre Tomas Machac en demi-finales.
Inquiétant ? Forcément, au moins un peu, puisque c'est la première fois depuis 2018 que "Nole" arrivera à Roland-Garros sans avoir disputé la moindre finale en début de saison. Cette année-là, il s'était incliné en quarts de finale contre Marco Cecchinato.
Les héritiers désignés
La "descendance" naturelle de Rafael Nadal et Novak Djokovic est clairement identifiée : il s’agit de Carlos Alcaraz et Jannik Sinner. Il y a quelques semaines, ces deux-là auraient volontiers pu être désignés comme les deux principaux favoris de Roland-Garros, y compris devant les deux légendes.
Mais l’un et l’autre arrivent eux aussi escortés d'un wagon d'incertitudes. L’Italien, meilleur joueur du monde lors du premier trimestre, a dû renoncer à jouer à Rome en raison d’une blessure à la hanche qui a un temps menacé aussi sa participation à Paris. Sa présence ici est rassurante, mais dans quelle mesure sa préparation en aura-t-elle pâti, sur une surface qui n’est pas la plus efficiente pour lui ?
La question est valable pour l'Espagnol, qui n’a joué qu’un tournoi sur terre battue au printemps, à Madrid (défaite en quarts face à Andrey Rublev), en raison d’un œdème musculaire au muscle pronateur rond – une douleur l'avant-bras. Une blessure dont, selon ses dires, il ne souffre plus, même si on l'a vu encore arborer son manchon de protection cette semaine à l'entraînement. Un sondage effectué cette semaine par l’ATP auprès des fans désignait Alcaraz en tête de liste des favoris, d’une courte tête devant Djokovic. Malgré tout, il reste là encore une vraie inconnue.
Les prétendants logiques
De manière plus pragmatique, ou plus exactement mathématique, les costumes de favoris pourraient plutôt être endossés par les joueurs ayant cumulé le plus de points lors des tournois printaniers sur terre battue.
À ce petit jeu, le vainqueur est Casper Ruud, vainqueur ce samedi (pour la troisième fois) à Genève après avoir déjà triomphé à Barcelone et atteint la finale à Monte-Carlo. Sa science de la terre battue, son expérience à Roland-Garros, dont il est double finaliste sortant, et son abattage sur la distance des trois sets en font clairement un gros client.
Et l'on pourrait bien sûr écrire exactement la même chose de Stefanos Tsitsipas, pour sa part vainqueur à Monte-Carlo, finaliste à Barcelone et quart de finaliste à Rome. Le Grec, lui aussi finaliste à Roland-Garros en 2021, a également beaucoup de choses pour lui.
Dans ce contexte assez flou, on pourrait aussi considérer que le dernier qui a parlé (le plus fort) a raison : en l’occurrence, il s’agit d’Alexander Zverev, vainqueur à Rome et par ailleurs le mieux classé de tout ce petit groupe. Mais il y a cet énorme pavé dans la mare : un certain Rafael Nadal comme adversaire au 1er tour. Et là, ça passe ou ça casse...
Difficile aussi de ne pas inclure Andrey Rublev, le vainqueur de Madrid, dans ce peloton privilégié de prétendants, tout comme Daniil Medvedev, qui a un profil inverse des quatre hommes précédemment cités : un jeu moins adapté à la terre battue, mais une meilleure expertise – jusque-là – en Grand Chelem.
Les outsiders
Et puisqu’il y a toujours un "mais" quelque part, pourquoi la surprise ne viendrait-elle pas d’un candidat moins attendu ? Holger Rune, certes assez inconstant cette saison, a clairement le potentiel pour causer de gros dégâts. On ne peut pas non plus occulter des joueurs en forme comme Hubert Hurkacz, qui s’est mis à gagner aussi sur terre battue cette année (à Estoril), ainsi que le finaliste de Rome, Nicolas Jarry.
Nous voilà déjà à une douzaine de candidats et l'on n'est pas persuadé - loin de là - que la liste soit exhaustive. Et si, au bout du compte, un OVNI du genre de Gustavo Kuerten en 1997 mettait tout le monde d’accord ?