Duels au couteau, retournements de situation, personnalités atypiques, épisodes méconnus : au cours de cette édition 2022, nous vous proposons de revisiter quelques moments mythiques de l’histoire du tournoi. Épisode 4 : il y a quarante ans, un Suédois peut en cacher un autre… Retour sur la première victoire de Mats Wilander, qui, 40 ans après ce titre, va remettre la coupe Suzanne-Lenglen à la championne de Roland-Garros ce samedi.
Il était une fois… Un Suédois peut en cacher un autre
Épisode 4 : il y a quarante ans, le sacre de Mats Wilander…
"Non mais ce n’est pas vrai ! Borg est parti et voilà son ombre. Je devrais le battre ce gamin venu de Suède mais il joue comme l’autre. C’est dingue !"
Dixit un certain Mats Wilander lui-même, c’est ce qui se dit dans les vestiaires de Roland-Garros en 1982. Ce jeune Suédois, d’ailleurs, ne cache pas son admiration pour son aîné. "Quand j’avais 10-12 ans, je jouais au hockey sur glace, au foot et au tennis, se souvient-il. Et puis Borg est arrivé. Il était 'so cool', plus encore que les Rolling Stones !"
C’est effectivement inattendu mais le tenant du titre et sextuple vainqueur de l’épreuve, Björn Borg, vient à peine de prendre ses distances avec le circuit qu’un autre Suédois au revers à deux mains, blond et impassible comme lui, saisit immédiatement sa chance. Alors que l’on attend Ivan Lendl, Yannick Noah, Jimmy Connors, José Luis Clerc ou Guillermo Vilas pour lui succéder, Mats Wilander, classé "seulement" 30e mondial, double tout le gratin du tennis mondial.
À 17 ans et 9 mois, il devient le plus jeune lauréat du tournoi (distinction qu’il conservera jusqu’à la victoire de Michael Chang en 1989) et le premier joueur non classé tête de série à soulever le trophée. La surprise est d’autant plus grande qu’il s’agit alors de sa toute première participation dans le tableau final.
L’année précédente, il s’est imposé chez les juniors en battant notamment trois joueurs devenus, comme lui, des figures du circuit : Miloslav Mecir, Pat Cash et Henri Leconte. Chez les seniors, en cette année 1981, il a aussi joué les qualifs et s’est hissé au troisième tour, battu par un Colombien méconnu, Javier Restrepo, dont ce sera, a posteriori, le plus beau fait d’armes.
Chevaleresque en demies
Roland-Garros 1982, donc : Wilander réalise son premier coup d’éclat en huitièmes de finale en éliminant en cinq sets le finaliste sortant, Ivan Lendl. Pour la petite histoire, Wilander n’y croyait tellement pas qu’il avait réservé un vol pour le lendemain. S’ensuit une rencontre sublime en quarts de finale contre le flamboyant Vitas Gerulaitis, puis une demi-finale moins animée contre José Luis Clerc, mais marquée par une fin unique en son genre.
Alors que l’arbitre de chaise, Jacques Dorfmann, a déjà annoncé sa victoire et est même descendu de sa chaise, le natif de Växjö demande, en voyant son adversaire contester, à ce que l’on remette la balle. "C’est fabuleux, s’esclaffe Jean-Paul Loth à la télévision. On n’a jamais vu ça !". Ce geste chevaleresque est la première pierre de la légende de Mats Wilander à Roland-Garros.
Deux jours plus tard, il remporte, dans une partie d’échecs, la finale la plus longue (4h42) et la plus hypnotisante de l’histoire (des échanges à 50 coups de raquette, un rallye d’une durée de… 2’49’’) contre un Guillermo Vilas tout étonné de faire face à un joueur plus patient que lui et tenant physiquement la charge. "À l’époque, je jouais tous mes matchs comme si c’était des finales, poursuit Wilander. Je ne savais jouer que de cette manière et j’avais confiance dans mon physique. Face à Vilas, mon objectif était de prendre un jeu par set. C’est d’ailleurs ce qui s’est passé dans le premier set, et puis j’ai gagné le deuxième…"
Cette victoire choc marque le début d’un règne : Wilander va disputer quatre autres finales dans les années 80 pour deux autres titres. Son tennis de tacticien ne fait pas toujours rêver, soit, mais il rapporte. C’est une critique injuste car il est arrivé à Wilander de venir au filet très souvent, comme lors des finales 1985 (gagnée, celle-là) et 1987 (perdue), toutes deux contre son plus grand rival à Paris, Ivan Lendl. De cette finale de 1985, il dit aujourd’hui : "C’est sans doute le match le plus important que j’ai joué dans ma vie. À partir de 2-2 dans le deuxième set, je suis beaucoup venu à la volée, ce qui était un peu dingue contre Lendl sur terre battue".
On ne peut, également, dissocier Wilander et le tennis tricolore à Roland-Garros. De ses cinq finales disputées, deux l’ont été contre des Bleus : Yannick Noah en 1983 et Henri Leconte en 1988. Défait par le grand Yann (6/2, 7/5, 7/6) mais vainqueur du gaucher au bras d’or (7/5, 6/2, 6/1), le Suédois, dont le destin avait basculé un dimanche après-midi de juin 1982, a aussi changé l’histoire du tennis français.