J8 : la carte postale

Anecdote, tranche de vie, moment fort... Chaque jour, Roland-Garros vous envoie sa carte postale.

 - Roland-Garros

Cher public,

Moi non plus, je ne peux pas toujours être égal à moi-même. Bon, je te l'accorde, c'est vrai que j'ai tendance à faire parfois dans les extrêmes. Ce dimanche, quelques heures après avoir vécu la fin de match la plus tardive de mon histoire, au bout d'un duel somptueux de 4h29 entre Djokovic et Musetti qui s'est fini à 3h06 du matin, j'ai connu l'un de mes matchs les plus courts avec cette double roue de bicyclette inscrite en 40 minutes par Swiatek face à Potapova. Une même enceinte - le court Philippe-Chatrier -, deux ambiances.

Ce genre de grand écart est inhérent à mon système de score, dont l'origine n'est toujours pas complètement éclaircie – une histoire de jeu de paume, quoi qu'il en soit -, mais qui fait l'une de mes grandes spécificités et, je le crois modestement, ma beauté : un match peut potentiellement ne jamais se finir, comme il peut être expédié en moins de temps qu'il ne m'en faut pour t'écrire cette bafouille. Un match de tennis, c'est une tranche de vie. Et la vie, c'est comme une boîte de chocolats : on ne sait jamais sur quoi on va tomber (elle n'est pas de moi, celle-là).

Un moment sublime et hors du temps

Alors évidemment, c'est parfois un casse-tête, pour toi, pour les joueurs, pour les télévisions et pour moi aussi. Je pourrais faire comme beaucoup d'autres sports et me jouer en un temps donné, ce qui me faciliterait grandement les choses. Mais j'ai la ferme conviction que tu ne m'aimerais pas autant.

Comme l'a tweeté mon grand ami Casper, le tennis est l'un des sports les plus rudes (elle est facile celle-là). Quelle autre discipline, en effet, pousse, partout dans le monde, ses joueurs à évoluer parfois jusqu'à une heure avancée de la nuit, pour ne pas dire jusqu'à l'aube ? Ne me fais pas dire ce que je n'ai pas dit : j'ai bien conscience que ce n'est pas l'idéal. Il faut bien sûr tout mettre en œuvre pour que cela reste exceptionnel. D'autant que c'est l'exception qui sublime la règle.

Et samedi soir - ou dimanche matin, comme tu veux -, on a justement vécu un moment sublime, un vrai. Voir le possible plus grand champion de tous les temps refuser d'éteindre la lumière et repousser les limites de l'impossible pour remporter, à 37 ans, le deuxième plus long match de sa carrière ici, c'est un souvenir qui restera gravé dans la mémoire de tous. Surtout dans la sienne, et dans celle de ce jeune supporter qui l'a encouragé jusqu'à la fin, et à qui il est venu faire un gros câlin, tout en l'enjoignant d'aller se coucher.

C'était assez incroyable d'autant que culturellement, je n'ai pas encore une grande habitude de ces soirées-là. Moi, je n'ai des projecteurs que depuis 2020, et j'organise des "night sessions" depuis 2021. Avant ça, mes matchs se finissaient – ou étaient interrompus - entre chien et loup, aux alentours de 21h30, dans une ambiance crépusculaire qui avait aussi son charme.

Mais le tennis la nuit, c'est encore autre chose, une autre atmosphère, un truc indéfinissable qui ne s'explique pas mais qui se vit, c'est tout. C'était crevant mais franchement, ce bal du samedi soir, c'était terrible.

Novak Djokovic, deuxième tour, Roland-Garros 2024©Corinne Dubreuil / FFT