AO 2024 – J13 : exploit majeur de Sinner, insubmersible Medvedev

Magistral face à Novak Djokovic, l’Italien disputera sa première finale de Grand Chelem face à Daniil Medvedev, une nouvelle fois revenu de l’enfer face à Alexander Zverev.

Jannik Sinner / Demi-finales Open d'Australie 2024©Corinne Dubreuil / FFT
 - Romain Vinot

Un séisme de très haute magnitude sur l’échelle de Sinner a touché Melbourne ce vendredi. Auteur d’une irrésistible montée en puissance depuis plusieurs mois, le 4e joueur mondial est définitivement entré dans la cour des très grands en expulsant le roi de son propre château. Il a désormais rendez-vous avec une autre ancienne bête noire dont il s’est aussi libéré du joug en 2023.

Historique et sans conteste

Certaines ascensions donnent le vertige avant même d’avoir posé le premier pied en contrebas de la montagne. Celle dans laquelle s’est aventurée Jannik Sinner aujourd’hui était classée hors-catégorie. Décuple vainqueur de l’épreuve et invaincu à Melbourne Park depuis 33 matchs et sa défaite contre Hyeon Chung en huitièmes de finale de l’édition 2018, Novak Djokovic l’attendait tranquillement au sommet, comme au All England Club l’été dernier. A la différence près que, depuis cette tentative manquée, l’alpiniste transalpin a progressé et s’est affranchi de ses derniers complexes et de son statut d’élève en battant enfin le maître, lors des Finales ATP puis en Coupe Davis. "C’est un immense privilège d’avoir pu jouer trois fois contre lui en dix jours en fin d’année, a-t-il expliqué en conférence de presse. J’essaie toujours d’apprendre de ces grands joueurs, d’en tirer quelque chose. Ça a toujours fait partie de mon processus de progression et ce n’est pas fini parce que j’ai l’impression d’avoir encore beaucoup de choses à améliorer."

De prestigieux succès et un parcours immaculé dans cet Open d’Australie qui, il est vrai, avaient quelque peu réduit la taille de l’étiquette de favori solidement scotchée au dos de l’homme aux 24 titres du Grand Chelem. Mais encore fallait-il que le protégé de Darren Cahill ait les épaules pour livrer une prestation parfaite au meilleur des cinq manches face au quasi invincible tenant du titre. Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il s’est donné très rapidement toutes les chances de franchir ce nouvel énorme cap en démarrant la rencontre tambour battant.

En frappant fort, en trouvant des angles magnifiques et en prenant le filet à la moindre opportunité, il a totalement asphyxié un "Djoker" méconnaissable pendant deux manches. Presque absent des débats, le n°1 mondial a multiplié les erreurs grossières (29 fautes directes au cours des deux premiers sets) sans s’agacer ni pester auprès de son clan alors que son adversaire volait sur le court et vers une victoire éclatante (6/1, 6/2 en 1h13), toujours le poing serré.

"J’ai été choqué par mon niveau, dans le mauvais sens du terme, a avoué le vaincu à l’issue du match. Je n’ai pas fait grand-chose de bien dans les deux premiers sets, c’était l’un des pires matchs en Grand Chelem de ma carrière. Ce n’est jamais agréable de jouer comme ça mais tout le mérite lui revient, il a tout fait mieux que moi, dans tous les aspects du jeu." Contrainte de sauver une nouvelle balle de break d’entrée de troisième set, la bête s’est enfin réveillée en réclamant le soutien de la foule et en retrouvant de la qualité sur son engagement (43% de premières dans le set inaugural !).

A défaut de reprendre pleinement les commandes, cette rigueur nouvelle au service, ainsi que de meilleurs déplacements et des frappes plus incisives lui ont permis de se maintenir à flots tout au long de cette troisième manche, la plus longue du match. Malgré une interruption liée au malaise d’un spectateur alors que le tableau des scores affichait 5-5, 40-40, Djokovic a tenu pour finalement s’offrir le droit d’emmener Sinner dans son exercice préféré, le tie-break. La seule véritable issue pour le champion, incapable de se procurer la moindre opportunité sur la mise en jeu adverse. Spoiler alert : le meilleur relanceur du monde n’en aura absolument aucune durant toute la rencontre, une première dans sa carrière en Grand Chelem !

Un jeu décisif durant lequel le natif de San Candido a enfin montré quelques failles en commettant notamment deux fautes à l’entame puis une nouvelle, plus dommageable, en trouvant le filet en coup droit sur sa première balle de match. Inévitablement attiré par l’odeur du sang, "Nole" en a tout de suite profité pour conclure sur sa première balle de set et définitivement se relancer. Difficile à ce moment précis de ne pas songer à toutes les parties renversées par le boss incontesté de l’emprise psychologique, revenu comme neuf d’un toilet break pouvant faire gamberger n’importe qui.

Mais on l’a dit et on le répète, le "Renard" n’est plus fait de ce bois inflammable à la moindre étincelle. "Ce n’est pas facile parce que vous êtes très près du but et finalement le chemin est encore long, a analysé Sinner. Je me suis assis, j'ai essayé de me rappeler que le score était de deux sets à un pour moi et que c’était positif. J'ai donc essayé de rester concentré sur l'objectif que j'avais aujourd'hui, à savoir mettre en place un bon plan de jeu et bien l’exécuter."

Très costaud mentalement, il est donc retourné au combat comme si de rien n’était, faisant de nouveau l’étalage de sa palette de plus en plus étoffée. Impérial en défense, ultra-efficace au service et adroit à la volée pour conclure des échanges rondement menés, il a rapidement repris les choses en main en breakant dans le 4e jeu de ce 4e set puis en imposant son rythme jusqu’à sa deuxième balle de match, obtenue 55 minutes après la première.

Un apprentissage, une évolution, une maturité et un admirable sang-froid qui lui ont permis de lever les bras et d’arborer un large sourire après 3h22 d’un combat totalement maîtrisé (6/1, 6/2, 6/7(6), 6/3). Ou comment engranger une troisième victoire en quatre rencontres face au patron du circuit, de plus en plus challengé par la nouvelle génération. Un exploit majuscule, le plus grand de sa jeune carrière, qu’il tentera de magnifier contre Daniil Medvedev. "Dimanche, c’est une finale et les émotions sont toujours particulières peu importe la taille du tournoi […] J’ai hâte d’y être et de voir ce qui nous attend" a-t-il conclu. Une impatience partagée par toute la planète tennis.

Docteur Daniil, Mister Medvedev

"Je n’ai plus de jambes, je n’y arrive pas". Mené deux sets à rien, sans solution et au bord du gouffre, le n°3 mondial a fait comprendre à son entraîneur Gilles Cervara que la messe était dite. Epuisé par un tournoi à rallonge, au cours duquel il a notamment remonté un handicap de deux manches sur les coups de 4h du matin face à Emil Ruusuvuori au deuxième tour, il se voyait plier bagages, bouté hors de cette édition 2024 par un Alexander Zverev puissant et appliqué. De plus en plus fort sur sa mise en jeu et auteur de cinq breaks lors des deux premiers sets, le tombeur de Carlos Alcaraz en quarts de finale s’est tracé une voie royale, bien aidé par l’absence d’initiatives de l’autre côté du filet.

Mais ce que Sascha ne savait pas encore, c’est qu’il n’aurait plus la moindre opportunité sur l’engagement adverse jusqu’à la fin de la partie. "Je pense que j’ai mieux joué dans le deuxième set qu’au premier mais lui jouait encore mieux, il m’a breaké deux fois et je n’ai eu aucune occasion sur son service, a expliqué le vainqueur au micro de Jim Courier. J’étais un peu perdu au cours de la troisième manche mais je me suis dit que si perdais ce match, il fallait quand même que je sois fier de moi. Sur le terrain, je veux toujours me battre jusqu’à la fin et si je perds, tant pis. Mais j’ai réussi à gagner et j’en suis très heureux."

Puisque c’est toujours la tête qui fait avancer les jambes et qu’il n’avait plus rien à perdre, Daniil a commencé à lâcher ses coups, d’abord pour faire jeu égal avec son vis-à-vis et ensuite pour remporter le tie-break du troisième. Oubliés les longs rallies de 34 et 51 coups (!) et le "tout pour la défense" du set inaugural, place aux prises de risques, aux attaques précises et aux montées gagnantes. Beaucoup plus serein à l’engagement, il a exercé une pression bien plus importante en retour pour petit à petit transformer le combat territorial en guerre des nerfs.

Longtemps impeccable aussi bien dans ses choix que dans son attitude, l’Allemand a fini par craquer devant le scénario cauchemardesque qui se dessinait sous ses yeux. La réussite insolente sur un retour amorti du double finaliste (2021 et 2022) dans le jeu décisif du 4e set – juste après une double faute qui semblait le condamner – a définitivement fait basculer cette 19e confrontation entre les deux hommes (la première en Majeur). "J'ai fait de meilleurs coups qu'auparavant et j'ai commencé à mieux servir, a reconnu Medvedev. Dans le tie-break, j'ai eu un peu de chance à 5-5 en retour. Le slice était intentionnel, mais l’effet amorti avec l’aide du vent ne l’était pas ! Parfois, il faut avoir de la chance et aujourd'hui, c'était mon jour."

Revenu de nulle part, il a poursuivi son entreprise de destruction psychologique dans le set final, en appuyant au bon endroit : sur le coup droit du n°6 mondial, auteur de 70 fautes directes au total sur l’ensemble de la rencontre. Des erreurs qui l’ont petit à petit fait disjoncter, lui le grand perdant d’un match qu’il aurait dû gagner. Le miraculé Medvedev s’impose finalement 5/7, 3/6, 7/6(4), 7/6(5), 6/3 en 4h18 et disputera dimanche la sixième finale de Grand Chelem de sa carrière. S’il n’en a gagné qu’une (celle de l’US Open 2021), il s’agira de sa première face à un autre joueur que Novak Djokovic ou Rafael Nadal. De quoi nourrir de belles ambitions et tout faire pour récupérer au plus vite de ce nouveau marathon…