Le chaud et le show. Dans une atmosphère toujours aussi caniculaire au Billie Jean King National Center, Coco Gauff a une nouvelle fois fait preuve d'une maturité et d'une justesse déconcertantes afin de rallier le dernier carré. Quelques heures plus tard, elle a été imitée par son compatriote, tout aussi bluffant.
US Open J9 : Gauff et Shelton, nouvelle "hype" new-yorkaise
Une (très) jeune génération américaine en or, un patron seul au monde et une finaliste de Roland-Garros revancharde : on fait le point sur des premiers quarts de finale riches en enseignements.
Gauff donne la leçon
La chaleur écrasante, la prestation XXL de son adversaire au tour précédent face à la numéro un mondiale et une défaite lors de leur dernier affrontement en huitièmes de finale de l’Open d’Australie : tout portait à croire que Coco Gauff allait devoir s’employer pour espérer atteindre le dernier carré de "son" Majeur.
Il n’en a finalement rien été pour la joueuse de 19 ans, devenue la première teenager à atteindre les demies à New York depuis Serena Williams en 2001 au terme du succès le plus écrasant de sa carrière en Grand Chelem (6/0, 6/2 en 1h08). "J’aime que mon nom soit associé au sien dans la même phrase, a-t-elle sourit en conférence de presse. C’est la plus grande joueuse de l’histoire, j’en suis très loin […] Cette statistique était valable en quarts, maintenant en demies donc je suppose que ce sera également le cas pour la finale. Je vais juste continuer à avancer."
Agressée au retour (elle n’a remporté qu’une seule fois sa mise en jeu) et constamment contrainte de jouer un coup supplémentaire pendant 1h08, Jelena Ostapenko a dégoupillé dès les premiers échanges, offrant plusieurs opportunités à une adversaire qui n’en demandait pas tant (15 fautes directes pour seulement 7 points inscrits). Un premier set parfait, suivi toutefois d’un échange cordial de breaks dans le second qui a maintenu l’espoir d’un combat plus équilibré l’espace de quelques minutes. "Bien sûr, quand vous gagnez un set 6/0, c’est qu’il y a quelque chose qui ne va pas chez l’adversaire, a-t-elle poursuivi. Mais j’avais déjà joué contre Jelena deux fois et lors de notre match en Australie, j’avais le break dans la première manche avant de la perdre. Donc aujourd’hui, j’ai juste essayé de ne pas la laisser respirer. Evidemment, elle doit être frustrée de sa performance."
Toujours aussi parfaite dans sa couverture de terrain et dans sa capacité à ramener les frappes adverses dans le court (8 petits coups gagnants pour Ostapenko), Coco Gauff s’est finalement envolée vers la victoire la plus aisée de son aventure new-yorkaise (elle a déjà passé 9h19 sur les courts dans le tableau du simple dames) et l'une des plus importantes de sa vie. "Emotionnellement, je me sens fraîche et libérée, contrairement aux précédents tournois du Grand Chelem durant lesquels j’étais épuisée psychologiquement. Je me sens bien physiquement et mentalement. Je pense que c'est le fruit de mon expérience". Rappelons que l'intéressée n'a que 19 ans...
Sur le circuit depuis déjà cinq ans malgré son jeune âge, la joueuse désormais coachée et conseillée par Brad Gilbert et Pere Riba n’a jamais semblé aussi forte dans sa tête et dans son jeu. Auréolée de deux nouveaux titres avant de poser ses valises dans la ville qui ne dors jamais (Washington et Cincinnati), la grande favorite du public reste sur 16 victoires lors des 17 derniers matchs. Un 11e succès consécutif (sa meilleure série en carrière) lui ouvrirait les portes d’une deuxième finale de Grand Chelem après celle disputée à Roland-Garros 2022. Comme pour remporter le plus beau sacre de sa carrière, il faudra pour cela passer l'obstacle Karolina Muchova. L’Amérique n’attend que ça.
Muchova veut sa revanche
Si elle n'a perdu qu'un jeu de plus que sa future adversaire pour se défaire de Sorana Cirstea, Karolina Muchova a tout de même passé 30 minutes supplémentaires sur le Court Arthur Ashe (6/0, 6/3 en 1h38). La faute notamment à un incroyable jeu de service à rallonge alors qu'elle menait déjà 3-0 dans la première manche. En sauvant neuf opportunités, la finaliste Porte d'Auteuil a fait coup double : elle a creusé l'écart tout en assénant un coup de massue sur la tête de la Roumaine. "J'ai pris la première manche 6/0 mais les jeux étaient serrés, a-t-elle analysé dans la salle de presse principale. Pendant 15 minutes, nous sommes restées entre l'égalité et l'avantage donc ce n'était pas facile pour moi. Dans l'ensemble, j'ai dû me battre sur chaque jeu."
Ce fameux break, la 30e joueuse mondiale l'a finalement réussi d'entrée de deuxième manche. Une joie toutefois de courte durée au vu de ses approximations et de ses difficultés à conserver son propre engagement devant la maîtrise et les initiatives adverses.
En sécurisant une 10e victoire en 11 rencontres, celle qui avait déjà atteint le dernier carré à l'Open d'Australie 2020 (en plus de Roland-Garros cette année, donc) s'offre la possibilité de prendre très rapidement sa revanche sur l'Américaine, qu'il l'avait battue en deux manches il y a moins de trois semaines. "C'est une joueuse très athlétique qui se bat sur toutes les balles, qui n'abandonne jamais. Elle ne fait que très peu d'erreurs [...] Je ne vais pas vous donner les clés du match (rires) mais je vais essayer de développer mon jeu, de rester concentrée sur moi et de montrer la meilleure version de moi-même." Le rendez-vous est pris.
Bienvenue au Shelton Night Show
Comme ne pas être "hypé" par le phénomène Ben Shelton ? Il y a un an et demi, le prodige venu d’Atlanta remportait les NCAA Championship avant de décider de quitter le monde universitaire pour rejoindre celui des grands. Pour sa première véritable année sur le circuit professionnel, le jeune homme de 20 ans étonne, détonne et emporte tout sur son passage. Adulé par des ainés conscients qu’il est d'ores et déjà le chef de file d’une relève dorée, il a bouté hors du tableau deux compatriotes et prétendants assumés au dernier carré sans le moindre remord. Tout simplement parce que la meilleure chance masculine américaine dans ce tournoi, c’est lui.
Après s’être occupé de Tommy Paul, "Bugs Bunny" s’est donc attaqué à Frances Tiafoe. Le demi-finaliste de la précédente édition savait à quoi s’attendre à l’occasion du premier quart de finale de Grand Chelem entre deux joueurs afro-américains. Et il n’a pas été déçu.
Showman dans l’âme, celui qui avait déjà effectué une très belle percée lors de l’Open d’Australie (défaite en quarts de finale face à… Tommy Paul) a sorti les muscles, hurlé sa rage, pointé son cœur du doigt avant de raccrocher le téléphone. On regrettera cependant que la conversation n’ait pas duré plus longtemps et que les deux hommes n’aient pas réussi à développer leurs solides arguments au même moment.
Sur un pied d’égalité à l’entame du troisième set, les deux capitaines de soirée ont cordialement échangé six breaks avant de logiquement en découdre au jeu décisif, climax d’un duel sans véritable fil rouge. Cet instant de vérité résume d’ailleurs à lui seul une partie quelque peu décousue. Des aces, des doubles, des fautes grossières ou du moins évitables et des coups de canon venus d’ailleurs : au petit jeu du spectacle à tout prix, le plus jeune des deux amis a triomphé, transformant ensuite la quatrième manche en simple formalité. Si "Big Foe" n'a pas démérité, les retours dévastateurs, la variations des engagements et la capacité à conclure les rallyes de son adversaire ont fait la différence (6/2, 3/6, 7/6(6), 6/2 en 3h07).
Plus jeune joueur de la bannière étoilée à accéder au dernier carré depuis Michael Chang en 1992, Ben Shelton est désormais au pied d'une montagne. Il jouera ce vendredi sa première demie en Majeur face au recordman de l'exercice, Novak Djokovic. "On ne peut pas faire mieux, a confié l'heureux élu à l'issue de sa victoire. Les deux derniers matchs face à mes compatriotes ont été difficiles mais les gars, vous allez m'en mettre plein la vue vendredi soir hein ? "
Qu'il s'agisse de cet US Open 2023 ou des saisons à venir, asseyez-vous confortablement dans votre sofa car le show Shelton ne fait que commencer.
La stat’ du jour : Djokovic, roi du dernier carré
Quand il entre en scène et prend le micro, Novak Djokovic ne le lâche plus. Invaincu en quarts de finale à l’US Open, il a de nouveau rendu une copie très convaincante contre le héros local Taylor Fritz (6/1, 6/4, 6/4 en 2h35). Et si désormais chaque victoire ou presque lui permet d’ajouter des lignes dans le grand doc’ excel des statistiques du tennis, ce 13-0 à ce stade de la compétition offre au futur numéro un mondial un accomplissement bien plus important. En effet, il est désormais le seul et unique joueur masculin de l’histoire à s'être rendu 47 fois dans le dernier carré d’un Majeur, reléguant ainsi Roger Federer sur la deuxième marche du podium (46). Ça valait bien une petite chanson des Beastie Boys pour fêter ça en public.
Dans des conditions toujours aussi humides et sous 34°C, le Serbe n’a pas vraiment connu de coup de chaud au cours de cette rencontre, grâce notamment à une maîtrise quasi-totale des moments clés. Si le vainqueur d’Indian Wells 2022 a bel et bien eu des opportunités qu’il regrettera sans doute, ses 10 balles de break non converties sur 12 ont été aussi bien sauvées que manquées. Poussé par un public entièrement acquis à sa cause, il s’est accroché en fin de troisième manche mais son irrégularité (51 fautes directes contre 26 pour "Nole") lui a coûté une 11e défaite en autant de rencontres face à des membres du Top 10.
Dominateur dans l’échange et performant à la relance, celui qui vise un 24e titre en Grand Chelem à Flushing Meadows semble tenir la forme de sa vie, à 36 ans. Mais cela ne l’empêche pas de jeter des regards noirs à son clan ou de demander à des amis trop bruyants de quitter définitivement son box en plein match. Il a d’ailleurs avoué ne pas toujours prendre du plaisir sur un terrain. "J'essaie de profiter des moments sur le court, mais il y a tellement de stress et de pression que c’est difficile de s’amuser, a-t-il admis en conférence de presse. Pour moi, l’objectif est de trouver des solutions et de gagner le match. Par contre, en dehors du court, quand on voyage avec toute mon équipe, on s’amuse et on profite de la vie. L’essentiel étant de trouver le meilleur équilibre, qui est différent pour chaque joueur, je pense."
Rappelons que Novak Djokovic reste sur 23 victoires lors de ses 24 derniers matchs toutes surfaces confondues et sur une série de 10 succès consécutifs sur dur, incluant un titre acquis au terme d'une finale grandiose à Cincinnati. Il n'est désormais plus qu'un match de disputer une 4e finale en Grand Chelem cette année pour la troisième fois de sa carrière (après 2015 et 2021). Voilà qui pourrait définitivement lui redonner le sourire avant de défier ce vendredi un autre représentant émérite de la next gen made in USA...